L'ouragan Maria qui a frappé Porto Rico pourrait avoir des contrecoups jusque sur les malades québécois. En dévastant un territoire qui compte pas moins de 80 usines et installations pharmaceutiques, la catastrophe fait maintenant craindre une vague de pénuries de médicaments au Québec.

« C'est préoccupant. On est actuellement à la recherche d'informations pour bien gérer les risques dans nos établissements », a expliqué à La Presse Mélanie Caron, présidente de la table des pharmaciens pour le groupe d'approvisionnement de l'Ouest-du-Québec.

Porto Rico occupe le cinquième rang parmi les régions productrices de médicaments au monde, avec des exportations annuelles totalisant 3 milliards US. La moitié des grandes sociétés pharmaceutiques y ont des usines, et on y retrouve pas moins de 80 installations approuvées par la Food and Drug Administration des États-Unis (FDA). Or, depuis deux semaines, la presque totalité de l'île se retrouve sans électricité. Les infrastructures de communication et les routes sont aussi largement paralysées.

Baxter Canada a déjà envoyé une lettre aux pharmaciens du pays pour leur faire savoir qu'elle accordait jusqu'à nouvel ordre une « allocation de 0 % » sur tous ses solutés intraveineux. En clair, cela signifie que le flot normal des livraisons est interrompu et que chaque commande est maintenant évaluée individuellement. L'entreprise a dit agir ainsi pour « protéger les réserves canadiennes et minimiser les perturbations aux soins des patients ».

« Nous avons actuellement des stocks assez importants sous la main pour répondre à la demande normale de nos clients. Nos clients canadiens continuent à recevoir les produits Baxter qu'ils ont commandés », assure la porte-parole Leona Hollingsworth.

Mme Hollingsworth précise que les installations de Baxter à Porto Rico ont subi « certains dommages », mais qu'une production « limitée » y a repris. Les observateurs estiment qu'il pourrait falloir des mois pour rétablir le courant sur l'île. La plupart des usines comptent sur des génératrices, mais bien des employés manquent à l'appel.

Les pharmaciens veulent plus d'information

Mélanie Caron, qui gère l'approvisionnement en médicaments des établissements de tout l'ouest du Québec, craint que les pénuries ne surviennent à retardement, une fois les stocks actuels écoulés. Elle a déjà eu vent de lots de médicaments qui ont quitté le Canada pour approvisionner le marché américain, lui aussi lourdement touché par la chute de production à Porto Rico.

Mme Caron déplore le fait qu'elle doive prendre le téléphone et appeler elle-même les sociétés pharmaceutiques pour tenter de prévoir les pénuries. « On aimerait que l'information circule dans l'autre direction », lance-t-elle.

Bertrand Bolduc, président de l'Ordre des pharmaciens du Québec, rappelle que les pénuries de médicaments sont déjà fréquentes en temps normal et que la situation à Porto Rico risque de déséquilibrer un système déjà fragile. Il rappelle aussi que des mécanismes de divulgation ont été mis en place pour voir venir les pénuries. Or, pour l'instant, ils ne sont pas utilisés par les entreprises touchées par l'ouragan Maria.

« Ça serait très utile de savoir qui est impacté et quels produits sont concernés afin qu'on puisse prendre des mesures alternatives. Pour l'instant, à part s'inquiéter, on ne peut rien faire. »

Bertrand Bolduc invite Santé Canada à jouer les chefs d'orchestre et à « prendre le leadership ».

« Si un fabricant n'est pas capable de nous fournir un produit critique, il va falloir en faire venir d'Europe, dit-il. Mais qui en fait en Europe ? Qui est prêt à nous en vendre ? En restera-t-il si les Américains en commandent avant nous et paient le gros prix ? Est-ce qu'on peut activer ça rapidement avant qu'on soit en situation problématique ? »

Santé Canada affirme de son côté n'avoir « aucune indication que la situation à Porto Rico entraînera de graves pénuries de médicaments nécessaires pour les Canadien(ne)s ».

« Santé Canada est conscient de la gravité des pénuries de médicaments et se penche actuellement sur les effets possibles de la situation à Porto Rico », a expliqué l'organisation dans une déclaration écrite envoyée à La Presse. Santé Canada affirme être en contact avec la FDA américaine et les entreprises pharmaceutiques pour recueillir toutes les informations nécessaires.

Un portrait encore imprécis

Avec 2700 employés répartis dans trois usines, Pfizer est le plus gros employeur de l'industrie pharmaceutique à Porto Rico. Le géant pharmaceutique y fabrique certains des médicaments les plus vendus au monde comme le Lipitor (servant à abaisser le cholestérol), le Celebrex (anti-inflammatoire) et le Lyrica (analgésique).

L'entreprise peinait toutefois, hier, à dresser un portrait précis de ses opérations sur place et à déterminer quels médicaments pourraient se retrouver en pénurie.

« Nous continuons à évaluer dans quelle mesure nos collègues sur place ont été touchés, de même que l'impact sur les édifices et les opérations dans l'exécution de notre plan d'urgence », a fait savoir la porte-parole de Pfizer Canada, Christina Antoniou.

« Nous reprenons lentement le cours des activités et nous avons accès aux stocks de produits actuels, a-t-elle ajouté. Nous nous engageons à tenir le public au courant au fur et à mesure. »

MÉDICAMENTS: LES DEUX TIERS DES EXPORTATIONS DE PORTO RICO

Les médicaments représentent près des deux tiers des exportations totales de Porto Rico. Les géants pharmaceutiques s'y sont installés massivement pendant les années 60 et 70, profitant d'exemptions fiscales temporaires maintenant disparues. Aujourd'hui, l'industrie y emploie directement 18 000 personnes.

Source : PharmaBoardroom