Un juge a autorisé un hôpital montréalais à effectuer des transfusions de sang dans le cadre des traitements prodigués à une adolescente de 14 ans adepte des Témoins de Jéhovah atteinte d'un cancer, malgré son refus et «quitte à en mourir».

En autorisant les transfusions, le tribunal a souligné qu'il est conforme à la loi de vouloir protéger les enfants, «parfois contre eux-mêmes», lorsque leurs décisions peuvent s'avérer fatales.

Dans cette affaire, la jeune fille avait soufflé ses quatorze bougies trois mois auparavant. Elle rêvait de devenir professeure de musique. Le juge Lukasz Granosik, de la Cour supérieure, la décrit dans la décision rendue début septembre comme «une grande fille, brillante et articulée», qui réussit très bien à l'école et «présente une maturité supérieure à son âge biologique au niveau de son comportement».

Mais en juin 2017, elle apprend être atteinte d'un lymphome hodgkinien, une forme de cancer, et doit entreprendre un traitement de chimiothérapie.

Ce traitement nécessite souvent des transfusions de sang. À défaut de transfusion, la mort ou des dommages neurologiques irréversibles sont probables en cas d'hémorragie, note son médecin.

Or, suivant les prescriptions de sa religion, l'adolescente ne peut accepter de telles transfusions. Elle exprime alors clairement son refus et demande que ses choix et son autonomie soient respectés.

Elle est Témoin de Jéhovah comme ses parents. Elle prêche depuis qu'elle a 9 ans et a été baptisée à l'âge de 12 ans de sa propre initiative et à l'insu de ses parents, est-il rapporté dans le jugement.

Transfusions de force

Le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) a donc demandé au tribunal l'autorisation de procéder aux transfusions sans son consentement. Il se questionne sur la maturité de la jeune fille et prétend aussi que son consentement est vicié, car elle subit des pressions de ses parents. Selon la loi, un mineur de plus de 14 ans peut refuser certains soins: l'autorisation du tribunal est donc nécessaire si ses parents ou un hôpital veulent les administrer.

Dans son cas, l'hémato-oncologue qui la traite juge que son pronostic est excellent et avoisine les 97 pour cent de guérison et les 85 % de guérison sans aucune récidive ni rechute. Elle promet d'utiliser les autres traitements possibles et de n'avoir recours à une transfusion que si la vie de l'adolescente est menacée.

Le juge est dans une situation où il doit respecter plusieurs principes: d'un côté l'autonomie de la jeune fille et son droit à l'intégrité physique, mais de l'autre, l'obligation légale de trancher les litiges «dans le meilleur intérêt de l'enfant». Il se doit d'évaluer la maturité de l'adolescent qui refuse des soins.

Le juge analyse ainsi la position de l'adolescente. Il conclut qu'en même temps qu'elle parle de son désir de vivre et de ses rêves, «elle parle de la mort de façon désincarnée, sans émotion et presqu'avec résignation», avec un langage qui devient automatique et machinal, tel un robot.

«X (l'adolescente) insiste pour que sa volonté soit prise en compte, quitte à en mourir», peut-on lire dans la décision du juge Granosik.

Malgré son insistance et son désir clairement exprimé, le juge tranche en faveur des soins requis: «La nécessité d'une transfusion sanguine est à envisager pour sauver la vie de X ou éviter des dommages permanents à son intégrité physique.»

«Le Tribunal ne peut s'empêcher de noter le curieux détachement de X face à la mort, qui indique une certaine incompréhension du concept. Juxtaposé à sa joie et sa fierté exprimées lorsqu'elle parle de sa vie actuelle et de son avenir, le Tribunal est d'avis que sa maturité en ce qui concerne la représentation et la compréhension de l'abstrait n'est pas totalement acquise», poursuit le juge.

Bref, son intérêt «exige avant tout la protection de sa vie», écrit-il.

Le CUSM a ainsi été autorisé, pour une durée d'un mois, à administrer des transfusions sanguines à la jeune fille si elles sont nécessaires.

La Cour suprême s'est penchée à de nombreuses reprises sur le droit des Témoins de Jéhovah de refuser des transfusions sanguines. En ce qui concerne les adolescents, l'arrêt-clé provient du Manitoba et date de 2009. Dans une décision partagée de six contre un, la Cour suprême a tranché qu'une personne mineure (dans ce cas une adolescente de 14 ans également) devrait avoir la possibilité de prendre des décisions de nature médicale, mais que le tribunal doit avoir le pouvoir d'intervenir lorsqu'une vie humaine est en danger.