Estimant qu'un établissement de santé a contourné la loi en tenant un appel d'offres « illégal », l'Association des ressources intermédiaires d'hébergement du Québec (ARIHQ) s'adresse aux tribunaux pour demander une suspension dudit contrat, qui vise à offrir de l'hébergement à 60 personnes âgées en perte d'autonomie à Sherbrooke.

QUEL CONTRAT ?

Le 1er décembre 2015, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l'Estrie a lancé un appel d'offres afin de fournir hébergement et services à 50 personnes présentant des troubles cognitifs modérés et à 10 personnes présentant des incapacités physiques. Le contrat d'une durée de cinq ans et totalisant de 7,7 à 10 millions de dollars a été signé en vertu de l'article 108 de la Loi sur la santé et les services sociaux, qui permet notamment au gouvernement d'acheter des places dans des résidences privées pour aînés. Mais quelques jours plus tard, l'ARIHQ a entrepris des démarches judiciaires pour mettre fin à cet appel d'offres, estimant qu'il était illégal.

CONTOURNER UNE ENTENTE

Pour l'ARIHQ, le CIUSSS de l'Estrie tente de contourner le système d'attribution de contrats en menant cet appel d'offres. Car selon la présidente de l'ARIHQ, Johanne Pratte, l'appel d'offres « vise spécifiquement une clientèle qui devrait être hébergée en ressource intermédiaire ». Les ressources intermédiaires ont été créées afin d'offrir une solution de rechange à l'hébergement institutionnel pour plusieurs clientèles, dont les personnes âgées présentant des pertes d'autonomie modérées. En 2013, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a conclu une entente avec l'ARIHQ qui établit notamment le genre de clientèle devant être hébergée en ressource intermédiaire, la rétribution de ces ressources et les services devant être offerts aux usagers. Pour l'ARIHQ, l'appel d'offres du CIUSSS de l'Estrie vise à accorder des places de ressource intermédiaire, mais sans avoir à respecter les exigences de cette entente. La poursuite de l'appel d'offres « permet la création d'un précédent quant à la tenue d'un système parallèle d'octroi de contrats par les établissements pour la dispense de services d'hébergement », plaide l'ARIHQ dans sa demande d'injonction déposée en cour.

DES AÎNÉS PÉNALISÉS

Alors que dans une ressource intermédiaire, les aînés hébergés doivent débourser un maximum d'environ 1200 $ par mois, dans des contrats signés en vertu de l'article 108, cette somme est variable. Par exemple, dans le cas du contesté contrat du CIUSSS de l'Estrie, les aînés signeront des baux allant jusqu'à 1650 $ par mois. « Les aînés qui seront référés dans cette ressource vont payer plus cher que s'ils allaient dans une ressource intermédiaire. Pourquoi ? Et qui surveillera la qualité des services offerts ? », demande Mme Pratte. Le CIUSSS de l'Estrie n'a pas voulu commenter la situation « compte tenu du processus judiciaire en cours ».

MULTIPLICATION DES CONTRATS

Selon des informations du MSSS obtenues par La Presse, le nombre de contrats signés en vertu de l'article 108 ne cesse de se multiplier dans la province dans le domaine de l'hébergement pour aînés.

Nombre de résidences privées pour aînés ayant un contrat de service avec le gouvernement en vertu de l'article 108

2014 : 88 

2017 : 213

Une hausse qui inquiète Mme Pratte. « C'est comme une dérive. Comme si l'on tentait de passer à côté des exigences de l'entente signée avec les ressources intermédiaires. Avec ces contrats en article 108, on assiste à la multiplication de structures fragiles pour accueillir des aînés vulnérables », dit-elle.

MOINS CHER POUR LE RÉSEAU

Les contrats signés en vertu de l'article 108 coûtent moins cher au gouvernement. Dans le cas du contrat du CIUSSS de l'Estrie, le réseau versera 21 $ par jour par résidant à la résidence privée pour aînés qui obtiendra le contrat. Dans une ressource intermédiaire conventionnelle, la contribution moyenne quotidienne par usager est de 100 $. Questionnée à savoir si les contrats en vertu de l'article 108 ne sont pas un moyen de contourner le cadre des ressources intermédiaires, la porte-parole du MSSS, Caroline Gingras, a répondu qu'il s'agissait de « deux univers distincts ». Alors que l'entente des ressources intermédiaires « vise à donner des services de soutien ou d'assistance à des usagers à la charge d'un établissement », les ententes en vertu de l'article 108 sont des « initiatives de l'établissement et de ses partenaires pour obtenir les services d'un tiers pour répondre de façon ponctuelle, transitoire, à un besoin d'un centre hospitalier ou pour répondre à un besoin où la mission de l'établissement n'est pas modifiée de façon significative ».

UN RAPPEL PLUTÔT QU'UNE ENQUÊTE

Déjà, en 2014, La Presse a révélé l'émergence de contrats signés en vertu de l'article 108 au Québec. Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, avait promis de faire enquête sur ces contrats. Au MSSS, on explique qu'un rappel a plutôt été effectué auprès des établissements « sur une directive qui précise le modèle d'appel d'offres conforme qui doit obligatoirement être utilisé par le réseau de la santé et des services sociaux public pour l'achat de places d'hébergement et de soins de longue durée ».