Des centaines de Canadiens ont contracté le virus Zika, presque tous à l'étranger. Mais on connaît peu de détails sur leur situation. Pour combler cette «lacune», des chercheurs ont épluché les informations relatives aux patients qui ont cogné à la porte d'un réseau canadien de sept cliniques spécialisées en médecine tropicale appelé CanTravNet.

Ces gens ont consulté un médecin après être tombés malades à la suite d'un voyage. Surprise : la proportion d'entre eux qui était infectée par le virus Zika était plus élevée que prévu, et leurs symptômes étaient nettement plus sévères qu'on aurait pu le croire. «Notre échantillon est petit, ce qui explique peut-être certains signaux inattendus. Mais il y a plusieurs éléments surprenants dans ce rapport», commente à La Presse Cédric Yansouni, directeur adjoint du Centre J.D. MacLean sur les maladies tropicales de l'Université McGill et l'un des auteurs de l'étude publiée aujourd'hui dans le Journal de l'Association médicale canadienne.

L'une des grandes surprises est la fréquence des cas de fièvre Zika. Sur 1118 patients s'étant présentés dans les cliniques spécialisées entre octobre 2015 et septembre 2016, 41 avaient la fièvre Zika. C'est autant que pour la dengue, et plus que pour le Chikungunya (23 cas).

«La dengue et le Chikungunya sont des maladies très communes chez les voyageurs canadiens qui reviennent de pays tropicaux. La fièvre Zika semble donc loin d'être une maladie rare», affirme M. Yansouni.

Trois femmes enceintes figuraient parmi les patients atteints, dont deux ont transmis le virus à leur foetus. Rappelons que le virus Zika peut créer de graves malformations chez les foetus, notamment la microcéphalie (bébés à la tête trop petite).

Les chercheurs estiment que leur échantillon représente environ 15% des cas de Zika diagnostiqués au Canada.

Des symptômes graves

L'autre aspect étonnant est la gravité des symptômes des patients. «On décrit souvent la fièvre Zika comme une dengue sans complications. Or, dans notre cohorte, on a observé des taux de symptômes sévères et de complications neurologiques beaucoup plus élevés qu'avec la dengue», dit Cédric Yansouni.

Pas moins de 88% des patients atteints ont souffert d'éruptions cutanées, 80% de fièvre, et la moitié a rapporté des douleurs aux muscles et aux articulations ou des maux de tête. Deux voyageurs souffraient du syndrome de Guillain-Barré, une maladie grave. Ajoutez à cela les deux foetus infectés, et vous avez, en seulement 41 cas, tout le spectre des problèmes qui ont déjà été associés au virus Zika.

Précisons que l'échantillon des chercheurs n'est pas représentatif de tous les cas de Zika. Environ 80% des gens infectés par le virus ne présentent aucun symptôme et n'iront donc pas consulter un médecin dans les cliniques spécialisées. Il reste que les scientifiques ne s'attendaient pas à observer un tel taux de complications chez les patients symptomatiques.

«Nos observations suggèrent que les complications résultantes de l'infection au virus Zika sont sous-estimées par les données venant exclusivement des populations où le Zika est endémique», écrivent les chercheurs canadiens.

Risque de transmission réel

La grande majorité des voyageurs canadiens infectés à l'étranger l'ont été par une piqûre de moustique. Mais l'un des patients de l'échantillon a été infecté par transmission sexuelle, en plus des deux foetus qui ont contracté le virus de leur mère.

Selon les chercheurs, le fait d'observer de tels cas dans un échantillon de seulement 41 personnes montre qu'il existe un «fort potentiel» d'attraper le Zika par transmission secondaire au Canada. Rappelons que les espèces de moustiques qui transmettent le virus ne vivent pas sous nos latitudes, d'où l'impossibilité de le contracter par une piqûre.

Avertissements maintenus

Selon l'expert Cédric Yansouni, le rapport de surveillance dévoilé aujourd'hui ne justifie pas de modifier les avertissements de santé publique déjà véhiculés par les autorités canadiennes. «Les données de notre rapport viennent soutenir les recommandations actuelles», dit-il. 

L'Agence de la santé publique du Canada (ASPC) recommande notamment aux femmes enceintes et à celles qui envisagent de le devenir d'éviter tout voyage dans les régions touchées (qui comprennent certaines régions de la Floride, en plus d'une bonne partie de l'Amérique latine). Les hommes qui reviennent de telles régions devraient avoir des rapports sexuels protégés pendant six mois pour éviter d'infecter leurs partenaires. Tous les voyageurs devraient se protéger des piqûres de moustique en se couvrant et en utilisant des insectifuges. 

Réseau CanTravNet

Le réseau CanTravNet compte sept cliniques spécialisées en médecine de voyage et en médecine tropicale, dont deux au Québec (elles sont associées à l'Université McGill et à l'hôpital Saint-Luc). Sa mission est d'assurer la surveillance des maladies contractées par les Canadiens à l'étranger. Il fait partie d'un réseau de surveillance international appelé Geosentinel.

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Principaux pays ou régions où les infections se sont produites chez les 41 patients atteints

• Colombie (7 cas)

• Trinité-et-Tobago (6 cas)

• Nicaragua (5 cas)

• Barbade (3 cas)

• Salvador (3 cas)

• Martinique (3 cas)