Déployés depuis octobre, les nouveaux Centres de répartition des demandes de services (CRDS), qui devaient permettre aux médecins de famille d'obtenir facilement une consultation pour leurs patients auprès de leurs collègues spécialistes, connaissent des ratés importants. Selon la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), des milliers de plages de rendez-vous ont été laissées vacantes, les CRDS de la province étant incapables d'y inscrire des patients. La situation est si problématique que Québec a accepté cette semaine de ralentir le déploiement du projet, a appris La Presse.

À Saint-Jérôme seulement, 250 plages de rendez-vous en orthopédie ont été laissées vides en deux mois par manque d'efficacité du CRDS régional. « Ce n'est pas comme si la demande n'est pas là ! Les patients ont besoin de nous voir. Les médecins spécialistes donnent des disponibilités. Mais dans plusieurs régions, le CRDS ne les remplit pas », déplore le président de l'Association d'orthopédie du Québec, le Dr Robert Turcotte.

UN PROJET MIS EN ATTENTE

À la fin du mois d'octobre, Québec a mis en place son système d'Accès priorisé aux services spécialisés (APSS). Dans chaque région, un guichet unique a été créé, le CRDS, pour permettre aux médecins de famille d'obtenir facilement une consultation avec un spécialiste. Dans un premier temps, seules neuf spécialités médicales participaient au projet, dont l'orthopédie, la neurologie, la gastroentérologie et l'ophtalmologie. « Les associations ont embarqué dans le projet. On a donné des disponibilités. Mais le Ministère a sous-estimé l'immensité de l'oeuvre à réaliser », estime la présidente de la FMSQ, la Dre Diane Francoeur.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) devait poursuivre progressivement le déploiement des CRDS pour d'autres spécialités dès ce mois-ci. Mais les ratés sont si nombreux que Québec ralentit la cadence. « Il était prévu de regarder où en était le projet en février avant d'aller de l'avant avec les autres spécialités. Compte tenu de certains ajustements soulevés, on a conclu d'un commun accord avec les médecins d'attendre avant de déployer le projet à d'autres spécialités », a confirmé Julie White, attachée de presse du ministre de la Santé Gaétan Barrette.

NOMBREUX RATÉS

Toutes les associations de médecins spécialistes jointes par La Presse estiment que le projet de CRDS est une bonne idée et permettra à terme d'offrir plus de disponibilités aux patients. Mais pour l'instant, les problèmes sont nombreux.

Si les CRDS fonctionnent bien dans certaines régions comme la Mauricie, la situation est tout autre à Laval, à Montréal, dans les Laurentides, dans Lanaudière, en Montérégie et à Québec. 

« Les principales plaintes que nous recevons sont pour des plages horaires non remplies. Ou pour des priorités cliniques mal inscrites. » - La Dre Josée Parent, présidente de l'Association des gastroentérologues du Québec

En orthopédie, le Dr Turcotte explique qu'il est anormal que des plages libres restent inoccupées, puisque la demande des patients a toujours excédé les disponibilités. Pourtant, dernièrement, un orthopédiste de Lanaudière a offert 30 plages au CRDS régional, et seulement six patients lui ont été adressés, illustre le Dr Turcotte.

FAIBLE RÉPONSE

Dans une conférence de presse tenue le 19 janvier, la présidente de la FMSQ, la Dre Diane Francoeur, expliquait qu'en date du 19 novembre, plusieurs CRDS présentaient un taux de rendez-vous fixés sous la barre des 20 %. Le CRDS de Laval-Laurentides-Lanaudière avait par exemple reçu 10 358 demandes de consultation en médecine spécialisée et n'avait fixé que 798 rendez-vous (8 %). Depuis, aucune donnée à jour n'a été fournie par le MSSS. Selon le Ministère, les données sont en train d'être colligées et seront disponibles sous peu.

Sur le terrain, la grogne des médecins spécialistes est palpable. Chez les neurologues, les demandes de consultation pour certains cas « n'entrent plus », affirme le président de leur association, le Dr Sylvain Chouinard. 

Pour les tests d'électromyographies (EMG), certains neurologues n'ont plus de listes d'attente. « Et ce n'est pas parce qu'aucun patient n'en a besoin. Où sont les demandes ? » se questionne le Dr Sylvain Chouinard.

Une réunion a eu lieu lundi soir entre certains spécialistes et le MSSS, et les discussions se poursuivent pour améliorer la situation. L'enjeu est grand pour les spécialistes. Car le projet de loi 20 prévoit des cibles d'accès qui doivent être atteintes d'ici décembre 2017, sous peine de sanction financière.

En attendant que les CRDS soient plus efficaces, les orthopédistes ont décidé de se retirer du processus. « Quand j'aurai l'assurance que ça roule, on va rembarquer », dit le Dr Turcotte.

Chez les autres spécialistes, on espère que la situation se corrigera rapidement. « Mais c'est un cauchemar pour tous. C'est un impact majeur sur la pratique de voir ces disponibilités non comblées », dit le Dr Chouinard, qui estime que le système a été déployé « trop rapidement », avec « trop peu de pédagogie ».

Un avis partagé par la Dre Francoeur : « Quand on fait des projets à la va-vite, c'est ce qui nous guette. La population veut être prise en charge rapidement. Je ne serai pas complice d'une organisation qui ne fonctionne pas », dit-elle.