À une dose par semaine, le méthotrexate traite certaines arthrites. À une dose par jour, il combat le cancer... et tue les arthritiques.

Malgré les alertes et les appels à la vigilance, des pharmaciens québécois continuent de commettre la même erreur funeste dans la préparation de ce puissant médicament : des doses quotidiennes pour des patients auxquels on a prescrit une dose hebdomadaire.

Seulement l'an dernier, trois d'entre eux ont dû se présenter devant leur conseil de discipline pour avoir mis trop de méthotrexate dans les piluliers de clients arthritiques auxquels une seule dose par semaine avait été prescrite. Un patient est mort, un autre a mis six mois à s'en remettre, et le troisième a été hospitalisé 17 jours, souffrant « énormément ».

Même la syndique adjointe de l'ordre professionnel - chargée d'accuser ses collègues qui violent la déontologie - a été mise à l'amende pour une erreur mortelle dans le dosage de ce médicament. Elle a aussitôt démissionné de ses fonctions.

Même scénario, même dénouement dramatique en 2015 : un pharmacien de Drummondville condamné à 3000 $ d'amende pour avoir mis trop de méthotrexate dans le pilulier d'un patient, qui en est mort. Et en 2012 : un confrère de Shawinigan condamné à la même amende pour avoir donné une dose quotidienne du médicament à un patient auquel on avait prescrit une dose hebdomadaire. Ce dernier a succombé à de complications survenues pendant son hospitalisation causée par l'empoisonnement.

Vingt et une erreurs ont été signalées par les pharmaciens québécois en lien avec le méthotrexate en 2015 et 2016, selon leur ordre professionnel.

« Des conséquences irréparables »

« Il était tout brûlé à l'intérieur. Il avait la bouche toute noire. Partout sur sa peau, il avait des marques rouges. »

C'est ainsi que Yves Théroux décrit le décès de son père, empoisonné par une erreur dans la confection d'un pilulier contenant une dose quotidienne de méthotrexate plutôt que la dose hebdomadaire qu'il devait prendre pour son arthrite, en 2014.

Célidor Théroux, un Drummondvillois âgé de 89 ans qui souffrait d'arthrite rhumatoïde, ne s'est jamais rendu compte de l'erreur. Ce n'est qu'au moment d'aller chercher de nouveaux piluliers à la pharmacie que son fils a lui-même découvert le problème. Cela faisait 12 jours que son père prenait du méthotrexate.

Auparavant, M. Théroux était « top shape », très en forme pour son âge, a expliqué son fils. « Toutes les années, on louait un chalet à Baie-Saint-Paul, on allait à L'Isle-aux-Coudres. »

Mais une semaine après que l'erreur a été découverte, il mourait à l'hôpital, ses derniers jours marqués par d'intenses souffrances.

« Des conséquences irréparables de la négligence de M. Truong », écrit le conseil de discipline de l'Ordre des pharmaciens dans sa décision concernant le pharmacien qui a mal préparé le pilulier destiné à l'octogénaire. Sa conduite « porte ombrage à l'ensemble de la profession ».

Thanh Thien Truong a dit ne plus se souvenir du fil des événements, mais a reconnu avoir apposé ses initiales pour indiquer qu'il avait vérifié le contenu du pilulier.

Il a été condamné à 3000 $ d'amende et devra suivre un stage de perfectionnement.

Une punition qui n'est « pas suffisante », croit la famille Théroux. 

« Il a tué mon père, il l'a tué ! Il est professionnel et il a signé pour confirmer que les dosettes étaient correctes », affirme Yves Théroux

Le conseil de discipline avait d'ailleurs « certaines préoccupations » à n'imposer qu'une amende à M. Truong : la décision cite le cas d'infirmières qui ont perdu le droit de pratiquer leur métier pendant plusieurs mois pour des actes de négligence qui ont coûté la vie à des patients.

« Le conseil est d'avis qu'une période de radiation temporaire aurait été une sanction juste et appropriée pour assurer la protection du public », peut-on lire dans la décision, rendue fin 2015. Mais comme la syndique de l'ordre et le procureur de M. Truong s'étaient entendus sur une recommandation commune de 3000 $ d'amende, le conseil de discipline s'en est remis à leur jugement : l'idée « n'est pas déraisonnable au point d'être contraire à l'intérêt public ».

La famille Théroux poursuit maintenant le pharmacien au civil. Son avocat n'a pas voulu commenter la situation.

« Ça arrive trop souvent »

Les empoisonnements au méthotrexate, « ça arrive trop souvent », déplore Sylvia Hyland, de l'Institut pour la sécurité des médicaments aux patients du Canada (ISMP). « De petites doses peuvent causer des dommages importants. »

Fin 2015, son organisme a publié une « alerte » concernant les « nombreux avis révélant des préjudices graves et des décès » à la suite d'erreurs dans la préparation de doses hebdomadaires de méthotrexate. Son homologue américain le classe d'ailleurs parmi une courte liste de produits « à niveau d'alerte élevé ».

Le bulletin s'ajoutait aux nombreux avis émis par différents acteurs du système de santé face à cette erreur trop fréquente. Le Fonds d'assurance responsabilité des pharmaciens soulignait ainsi « des problèmes persistants » avec ce médicament qui demeure « encore et toujours une source d'inquiétude ». « Une extrême vigilance s'impose », avertissait en 2016 l'Ordre des pharmaciens dans un bulletin envoyé à ses membres.