Avec le réchauffement climatique et l'apparition de nouveaux vecteurs, le virus Zika pourrait être transporté beaucoup plus au nord du continent américain, notamment dans le nord-est des États-Unis, rapporte un article scientifique publié hier dans le Journal of Medical Entomology.

Est-ce dire que la menace augmente au Québec ? Très peu, s'entendent pour dire deux experts questionnés par La Presse.

Or, l'apparition de nouvelles éclosions d'épidémies, aux États-Unis ou ailleurs, sera difficile à prévoir, décuplant l'importance des efforts de sensibilisation auprès des voyageurs québécois dans ces zones à risque.

QUESTION: Depuis l'explosion de l'épidémie du virus Zika en Amérique latine et centrale, nous n'avons jamais senti que la menace était grande ici, dans le nord de l'Amérique. Qu'est-ce qui fait croire à l'auteur de l'article que la maladie pourrait atteindre le nord-est des États-Unis ?

RÉPONSE: Dre Anne Gatignol, département de médecine et de microbiologie-immunologie de l'Université McGill : 

Le constat de l'auteur est corroboré par le fait que le virus de la fièvre jaune (même famille que le Zika et transmis aussi par les moustiques) s'est propagé du Texas au New Hampshire entre les années 1600 et 1800. Cependant, on n'a pas vu une telle transmission importante des virus de la Dengue (même famille que le Zika et transmis aussi par les moustiques) ou du Chikungunya (famille différente du Zika et transmis aussi par les moustiques), alors que ces virus sont endémiques en Amérique latine. Cette absence de transmission massive peut s'expliquer par des facteurs climatiques, mais aussi socioéconomiques différents aux États-Unis : infrastructures, bonne gestion de l'eau, etc. Cependant, l'auteur explique que ces conditions pourraient être interrompues par une catastrophe naturelle, par exemple.

QUESTION: On comprend que tant qu'il n'y aura pas de catastrophe naturelle et que les États-Unis (et le Canada) maintiendront un niveau socioéconomique élevé pour l'ensemble de la population, il y a très peu de risque que le virus Zika se propage ici pour devenir épidémique.

RÉPONSE: Dre Gatignol : Oui, au même titre que pour toutes les maladies transmises par les moustiques : virus de la Dengue, de la fièvre jaune, du Nil occidental, du Chikungunya et autres. Par ailleurs, il est certain que l'amélioration des conditions socioéconomiques des pays situés entre les tropiques pourrait grandement contribuer à une diminution des épidémies transmises par les moustiques ; notamment, l'accès continu à un réseau d'eau potable devrait être une priorité pour ces pays, ce qui limiterait les contenants extérieurs recueillant l'eau et où s'accumulent des eaux stagnantes dans lesquelles les moustiques prolifèrent.

QUESTION: L'article rappelle qu'un autre facteur pourrait modifier la progression du virus en territoire américain.

RÉPONSE: Dr Cédric Yansouni, directeur adjoint du Centre des maladies tropicales J.D. MacLean de l'Université McGill : 

Là où on a des incertitudes avec la transmission du Zika aux États-Unis, c'est qu'on connaît les endroits où survit le moustique principal, mais on ne sait pas à quel point d'autres moustiques pourraient agir comme vecteur participant à la transmission du Zika dans la nature. Par exemple, Aedes albopictus (vecteur potentiel) résiste à de plus basses températures et il a une portée plus étendue qu'Aedes aegypti (vecteur actuel). On ne sait pas la contribution que ce moustique pourrait apporter à la transmission du Zika. S'il est capable de le transmettre, il pourrait étendre la portée géographique potentielle aux États-Unis. Mais encore là, on n'est pas trop inquiets pour le Canada.

QUESTION: Si on ne sort pas du pays, les risques sont quasi nuls de contracter le Zika et il en restera ainsi à moyen terme. C'est exact ?

RÉPONSE: Dr Yansouni : Exact. Ça ne sera pas un problème local au Québec. Ce sont les voyageurs qui doivent être prudents. Ça prend un seul voyageur infecté pour avoir une transmission potentielle dans les six mois (transmission par relations sexuelles ou mère-foetus). Jusqu'à maintenant, on a pu donner des zones à risque relativement fiables aux gens, mais dans un avenir proche où des centres urbains américains pourraient être touchés et où beaucoup plus de personnes voyagent, il pourrait devenir difficile de conseiller aux gens quelles mesures de protection prendre.

QUESTION: Justement, à l'automne, le Comité consultatif québécois sur la santé des voyageurs a recommandé aux femmes enceintes d'éviter tout voyage en Floride, où 43 personnes avaient contracté le virus Zika par une piqûre de moustique, à Miami. Est-ce qu'il faut s'attendre aux mêmes recommandations pour d'autres États ?

Dr Yansouni : On est en mesure de dire qu'on peut certainement s'attendre à ce qu'il y ait, de temps en temps, une transmission locale du virus dans certaines communautés des États-Unis. On sait qu'il y a des endroits à risque (comme la Louisiane et le Texas), mais on ne sait pas quand et où précisément il y aura des cas d'éclosions d'épidémies locales aux États-Unis. On ne peut pas le prédire. Donc pour des gens qui voyagent, c'est une considération à prendre, surtout si on pense à la conception d'un enfant.

Les cas répertoriés au Québec et au Canada

À la mi-décembre, 84 cas de personnes infectées par le virus Zika avaient été confirmés au Québec. Près de la totalité de ces personnes ont contracté le virus à la suite de voyages dans un pays où il y a une transmission locale du virus Zika par moustique. Au Canada, 421 cas liés à des voyages, trois cas de transmission par voie sexuelle et 20 cas d'infection chez des femmes enceintes avaient été recensés. Le virus Zika se transmet par la piqûre d'un moustique infecté, lors d'une relation sexuelle avec une personne infectée ou d'une mère infectée à son foetus. Le virus peut déclencher le syndrome de Guillain-Barré ou causer des malformations congénitales au cerveau chez les foetus, dont la microcéphalie. Les symptômes des personnes infectées sont de la fièvre, de la douleur musculaire, des maux de tête, entre autres, pendant deux à sept jours. Certaines personnes n'auront aucun symptôme.

- Avec la collaboration de Charles Côté