Lieux non sécuritaires. Usagers qui se font agresser physiquement. Manque de personnel. Les personnes hébergées à la ressource intermédiaire Résidence Ensemble de Blainville, atteintes de déficience intellectuelle profonde ou modérée, n'étaient pas en sécurité, note le Protecteur du citoyen dans un rapport d'intervention dévastateur publié le 24 novembre.

Bien qu'il ait été au courant de problèmes multiples et persistants menaçant les usagers, le centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentides a attendu près d'un an avant de fermer l'établissement. Un laisser-faire critiqué par le Protecteur du citoyen.

« Mis au courant des faits, le CISSS aurait dû agir promptement et de façon nettement plus contraignante afin d'assurer la sécurité des usagers sous sa responsabilité », conclut le Protecteur du citoyen dans son rapport.

Ce n'est que le 10 juin, au lendemain du passage du Protecteur du citoyen dans la ressource intermédiaire, que le CISSS a procédé à sa fermeture.

DES PROBLÈMES MULTIPLES

Le 22 avril 2015, le CISSS des Laurentides a signé un contrat de trois ans avec les propriétaires de la Résidence Ensemble, Vincent Portejoie et Noémie Bourassa Villemure, pour leur confier jusqu'à cinq personnes de 18 à 30 ans souffrant de déficience intellectuelle. Ce contrat a été attribué à la suite d'un appel d'offres public.

Dès août 2015, constatant certaines lacunes dans la ressource intermédiaire, le CISSS a lancé une enquête administrative. Un plan de correction a été adopté. Des suivis et des formations ont été donnés au personnel de la ressource au fil des mois.

Directeur adjoint du programme service en déficience intellectuelle et troubles du spectre de l'autisme du CISSS des Laurentides, Alain Jutras affirme que du personnel du CISSS était présent « tous les jours » dans la Résidence Ensemble pour apporter des améliorations. « Le problème dans ce cas-ci est qu'il y avait parfois des améliorations un peu, on avait espoir, puis il y avait rechute », dit-il, tout en ajoutant que « dans une autre situation semblable », le CISSS va « agir plus vite » à l'avenir.

DES USAGERS AGRESSÉS ET QUI MANQUENT DE COUCHES

L'enquête du Protecteur du citoyen a permis de conclure que deux usagers ont été victimes d'agressions de la part d'autres bénéficiaires.

Le Protecteur note qu'un seul intervenant était souvent présent pour prendre soin des usagers. Un ratio nettement insuffisant vu leurs besoins.

Le CISSS avait aussi noté au fil des mois des manquements sur le plan de l'hygiène et de l'habillement. L'un des usagers avait des excréments séchés sur les fesses. Un autre avait un pantalon si grand qu'un intervenant du centre de jour a dû lui attacher une corde à la taille. Un usager ayant la diarrhée s'est vu refuser la permission d'apporter des couches supplémentaires à l'école. L'école a également averti le CISSS qu'un usager n'avait ni pantalon de neige, ni mitaines, ni foulard alors qu'un budget de 550 $ était alloué pour l'achat de vêtements. « Plus de dix rappels ont été effectués aux promoteurs à cet effet », est-il écrit dans le rapport.

UNE AUTRE RESSOURCE À MONTRÉAL

L'un des propriétaires de la Résidence Ensemble, Vincent Portejoie, est également propriétaire d'une ressource intermédiaire à Montréal. Cette ressource n'est pas concernée par le rapport du Protecteur du citoyen. Néanmoins, le CISSS des Laurentides a averti ses collègues de Montréal de la situation. Joint par La Presse, M. Portejoie n'a pas voulu commenter la situation. « Je n'ai absolument rien à dire là-dessus », a-t-il dit. Mme Bourassa Villemure n'a pas rappelé La Presse.

DES LIEUX NÉGLIGÉS

Lors de sa visite le 9 juin 2016, le Protecteur du citoyen a noté des dommages importants à la maison. Un bout de comptoir de cuisine bouchait un trou dans un mur. Une tringle de rideau de douche retenait une porte menant à l'extérieur. Plusieurs objets encombraient le comptoir de la cuisine, et ce, même si un usager présentait un comportement de pica, c'est-à-dire qu'il avale des objets non comestibles.

En janvier 2016, le CISSS notait lui-même que « l'environnement n'est pas adapté et sécuritaire pour une personne présentant des comportements de pica ».

Le Protecteur du citoyen s'interroge d'ailleurs « sérieusement » sur le suivi qui a été effectué concernant l'aménagement des lieux de la ressource intermédiaire.

DES USAGERS EN DANGER

Le Protecteur du citoyen note aussi qu'il y avait un « important roulement du personnel » à la Résidence Ensemble. En janvier 2016, le CISSS écrivait que les personnes travaillant dans la ressource n'avaient « pas les capacités de prendre en charge les usagers demandant des soins spécifiques » et que cette incompétence « compromet[tait] la sécurité des usagers » et « met[tait] en péril la santé de ceux-ci ». Le Protecteur écrit que le CISSS « avait pleinement conscience des difficultés vécues dans cette ressource ainsi que des risques associés pour les usagers ».

UN DILEMME

Alain Jutras explique que le CISSS se trouvait devant un « dilemme » « On se demandait s'il fallait agir et fermer la ressource ou assurer le suivi. Fermer une ressource déstabilise la clientèle qui perd son milieu de vie », dit-il.

M. Jutras reconnaît que « si c'était à refaire, on fermerait plus vite ». Mais lors des premiers constats faits à la Résidence Ensemble, le CISSS a choisi d'augmenter sa présence dans le milieu et d'offrir de l'accompagnement.

M. Jutras assure que le CISSS avait déjà entamé les procédures pour fermer la ressource, et ce, bien avant l'intervention du Protecteur du citoyen. La fermeture le lendemain de la visite du Protecteur est un « hasard », dit-il.

Mais pour le Protecteur du citoyen, « le CISSS a nettement sous-estimé les risques d'atteinte à la sécurité pour des usagers vulnérables, dont il a pourtant la responsabilité d'assurer la sécurité ».

M. Jutras assure que les pratiques du CISSS des Laurentides ont changé. Depuis le 1er janvier, 20 ressources ont été fermées dans les Laurentides, dont la moitié à la suite de décisions du CISSS.

« C'est important de savoir que nous comptons 225 responsables de ressources sur le territoire. Ces situations sont une minorité. Mais je peux vous dire que nous sommes en action [...] Dans une autre situation semblable, on va agir plus vite », dit-il.