Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, vient de se heurter à un mur à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) avec sa révision à la baisse des normes de sécurité dans les résidences pour personnes âgées.

La RBQ a fait savoir à des hauts fonctionnaires de la Santé que les intentions du ministre contrevenaient à son Code de sécurité.

La Presse a révélé le 15 novembre que Gaétan Barrette prévoyait abandonner le resserrement des normes qu'il avait lui-même annoncé il y a un an. Certaines règles seraient assouplies, malgré les recommandations du rapport Delâge sur l'incendie meurtrier de L'Isle-Verte.

Ainsi, Québec veut permettre à des bénévoles d'être chargés de la surveillance, le jour comme la nuit, dans les résidences pour aînés autonomes, peu importe leur taille. La nouvelle norme serait moins sévère que celle prévue au règlement existant lors du drame de la Résidence du Havre, qui a coûté la vie à 32 personnes en janvier 2014.

Le bénévole devrait avoir une formation en secourisme et être disponible en tout temps. Mais il ne serait pas tenu d'être présent dans la résidence. Il interviendrait sur appel. Il pourrait rester à son domicile ou se trouver à proximité lorsqu'il est responsable de la surveillance.

Or cette disposition est incompatible avec le chapitre « Bâtiment » du Code de sécurité de la RBQ. On y prévoit qu'il « doit y avoir suffisamment de personnel de surveillance pour appliquer les mesures du plan de sécurité incendie » dans les résidences pour aînés. Et par « personnel de surveillance », on entend des « occupants d'un bâtiment chargés de la sécurité des autres occupants en vertu du plan de sécurité incendie ». Faire appel à un bénévole qui se trouve à l'extérieur de la résidence ne pourrait donc être permis.

La RBQ a signalé ce problème récemment à des hauts fonctionnaires de la Santé. Au ministère, la surprise est totale : la RBQ siège au comité interministériel chargé de la révision des normes. Elle n'a jamais fait part de cet enjeu avant la publication du texte de La Presse, à la mi-novembre.

« C'est un élément nouveau qui nous a été amené. On est au courant de l'opinion de la Régie », a affirmé l'attachée de presse du ministre Barrette, Julie White. Elle a réitéré que « la décision finale » n'avait pas été prise sur la révision des normes et que « des échanges sont en cours ».

CONDAMNATION DES CHEFS EN SÉCURITÉ INCENDIE

Le cabinet de la ministre du Travail responsable de la RBQ, Dominique Vien, s'est contenté de confirmer que des discussions se déroulent pour résoudre le problème. La RBQ n'était pas en mesure de répondre à nos questions hier.

Si M. Barrette allait de l'avant avec ses changements, il faudrait modifier le Code de sécurité, ce qui n'est pas une mince affaire. Surtout que bon nombre de municipalités ont adopté des plans de sécurité incendie reprenant les dispositions du Code au sujet du personnel de surveillance dans les résidences pour aînés.

Dans un bulletin électronique envoyé à ses membres hier, l'Association des chefs en sécurité incendie du Québec confirme que le Code de sécurité « vient clairement indiquer que l'utilisation de bénévoles qui n'habitent pas la résidence et qui agiraient sur appel est illégale ». Elle condamne les intentions du ministre Barrette qui sont « contraires aux recommandations du rapport Delâge ». Selon elle, il est utopique de croire que des bénévoles à l'extérieur de la résidence puissent intervenir sans délai en cas d'incendie. Les règles élémentaires de sécurité commandent de ne jamais pénétrer dans un bâtiment en flammes, ajoute-t-elle.

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CE QUE DIT LE RAPPORT DELÂGE

Le commissaire aux incendies du Québec, Cyrille Delâge, avait mené l'enquête sur le drame de L'Isle-Verte. Dans son rapport rendu public en février 2015, il recommandait d'établir « des normes pour ce qui est du personnel de jour et de nuit qui sont conformes à la réalité ». Le seuil minimum d'un préposé pour 100 résidants, qui avait été adopté en 2013, « ne [lui] apparaît pas très logique », plaidait le coroner. « Il faut une combinaison de mesures protectrices pour avoir une chance de réussite : non seulement des gicleurs », mais aussi, par exemple, « un personnel qualifié en nombre suffisant », insistait-il. Nulle part il n'approuvait le recours éventuel à des bénévoles se trouvant hors de la résidence pour assurer la surveillance. Ses recommandations vont plutôt dans le sens contraire.