Quand il sera légalisé, le cannabis ne devrait pas être distribué dans les dépanneurs. Le gouvernement pourrait plutôt privilégier des lieux de distribution spécialisés ou un monopole d'État comme la Société des alcools du Québec (SAQ). Dans un avis publié hier, l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) analyse les enjeux que soulève la légalisation du cannabis à des fins non médicales, annoncées par le gouvernement fédéral pour le printemps prochain.

QUEL EST L'OBJECTIF DU RAPPORT ?

En avril dernier, le gouvernement fédéral a annoncé qu'un projet de loi visant la légalisation du cannabis serait déposé au printemps 2017. Le gouvernement du Québec doit d'ici là énoncer une proposition d'encadrement. Avec son avis, l'INSPQ veut soutenir Québec en explorant diverses pistes de réflexion. La légalisation du cannabis comporte « son lot d'incertitude » et la « prudence » s'impose dans cette démarche, affirme l'INSPQ.

QUELLE EST LA POPULARITÉ DU CANNABIS AU QUÉBEC ?

En 2007, les policiers québécois ont délivré 20 300 constats d'infraction à la loi canadienne réglementant certaines drogues, qui interdit de produire, distribuer ou consommer du cannabis. De ce nombre, 14 100 concernaient la marijuana. Ce qui fait dire à l'INSPQ que le système de prohibition actuel « n'empêche pas la consommation de cannabis » et n'a pas permis de contenir le marché illicite.

QUELS SONT LES EFFETS DU CANNABIS SUR LA SANTÉ ?

Les effets psychoactifs du cannabis peuvent perturber la conduite de véhicules à moteur, induire la dépendance, nuire au développement du cerveau des jeunes, provoquer des troubles mentaux ou causer des maladies respiratoires.

QUELLE APPROCHE PRIVILÉGIER POUR LA LÉGALISATION DU CANNABIS ?

Les chercheurs de l'INSPQ expliquent favoriser les approches « à but non lucratif ». « Pour nous, la légalisation ne doit pas être vue comme une façon de faire de l'argent, de prélever des taxes ou de créer de l'emploi. Ce n'est pas un produit comme n'importe quel autre. Ça ne doit pas être vu comme une vache à lait de revenus », affirme Réal Morin, coordonnateur de l'avis. Pour lui, l'argent des taxes liées à la vente de cannabis pourrait par exemple être réinvesti en prévention.

COMMENT LE GOUVERNEMENT PEUT-IL BIEN ENCADRER LE MARCHÉ DU CANNABIS ?

Pour l'INSPQ, une instance gouvernementale devrait être créée afin de bien gérer la production, la distribution et la consommation de cannabis. Cette agence s'assurerait que la consommation de cannabis n'augmente pas avec sa légalisation et que la sécurité et la qualité des produits soient assurées. Elle pourrait également créer des mécanismes pour éviter de banaliser la substance et de « renormaliser socialement l'acte de fumer ». « Cette instance devrait être sous la gouverne du ministère de la Santé », affirme M. Morin.

AUTRES GESTES QUE POURRAIT FAIRE L'INSTANCE GOUVERNEMENTALE

Normaliser la teneur en THC des produits

Encadrer le marketing

Encadrer les lieux de distribution, par exemple en s'assurant que les points de vente sont loin des écoles

OÙ PRODUIRE LES ARTICLES DE CANNABIS QUI SERONT VENDUS ?

Différentes options sont possibles. Le gouvernement pourrait autoriser la production à domicile. L'INSPQ évoque toutefois les dangers du « problème du zucchini ». C'est-à-dire que les producteurs « maison » pourraient avoir une récolte trop famélique ou au contraire « trop abondante pour une seule personne, encourageant indirectement la surconsommation ou la redistribution de la substance ». La production par des coopératives d'utilisateurs est une autre avenue proposée par l'INSPQ, qui veut se tenir loin des systèmes où règne une logique de « libre marché ».

OÙ DEVRAIENT ÊTRE DISTRIBUÉS LES PRODUITS ?

Les dépanneurs, qui vendent aussi de l'alcool et du tabac, ne devraient pas pouvoir vendre du cannabis, selon l'INSPQ, qui privilégie des lieux de distribution « spécialisés » ou contrôlés par une société d'État comme la SAQ. « Consommer en même temps cannabis et alcool augmente les effets psychoactifs et c'est pourquoi on devrait s'abstenir de vendre les deux substances au même endroit », explique M. Morin.

À QUEL ÂGE DEVRAIT-ON POUVOIR S'ACHETER DU CANNABIS DE FAÇON LÉGALE ?

« La réponse n'est pas facile », reconnaît M. Morin. Pour l'INSPQ, l'âge de 21 ans privilégié par certains États américains serait trop tardif, car il inciterait les jeunes, proportionnellement plus nombreux à consommer, à continuer de s'approvisionner sur le marché illicite. L'INSPQ note qu'on pourrait souhaiter retarder le plus possible l'âge d'initiation afin de limiter les effets délétères sur le développement du cerveau. « L'âge de 18 ans semble logique », dit M. Morin.

DONC LÉGALISER LE CANNABIS, EST-CE UNE BONNE IDÉE ?

La légalisation du cannabis est « a priori, compatible avec une amélioration de la santé publique au Québec ». Mais les conditions pour que ce potentiel se réalise sont nombreuses. L'INSPQ rappelle qu'une approche « visant la prévention et la réduction des méfaits » de même que la protection de la santé publique devrait être préconisée.

DANGER DE LA BANALISATION

Un sondage mené récemment sur l'acceptabilité sociale de l'alcool et du cannabis auprès de 4200 répondants par l'Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) révèle que les Québécois sont plus méfiants à l'égard du cannabis que de l'alcool. Alors que 37 % des répondants estiment que le principal danger du cannabis est pour la santé, les répondants estiment que le principal danger de l'alcool concerne plutôt l'altération de la personnalité et du jugement (26 %) et les risques sociaux (25 %). « Les risques pour la santé de l'alcool ont été prouvés. Mais il y a une résistance parce que ça nous confronte dans nos habitudes de vie », affirme Émilie Dansereau-Trahan de l'ASPQ. Celle-ci souligne que les risques du cannabis sont perçus comme étant plus grands, car le produit est illégal. Mais advenant sa légalisation, il faudra veiller à ne pas banaliser sa consommation, comme on le fait avec l'alcool actuellement, estime Mme Dansereau-Trahan.