Le gouvernement Trudeau et le gouvernement Couillard ne s'entendent pas sur la façon dont Ottawa devrait financer la santé. Résumé en sept points d'un désaccord qui pourrait bien atteindre son point culminant cette semaine avec la réunion fédérale-provinciale des ministres de la Santé, aujourd'hui et demain à Toronto.

OFFRE ET DEMANDE

OTTAWA

• Hausse de 3 % par an des transferts fédéraux en santé.

• 3 milliards sur 4 ans additionnels pour les soins à domicile et les soins palliatifs (avec certaines conditions selon les provinces).

• Argent additionnel non chiffré pour la santé mentale.

QUÉBEC

Hausse de 6 % par an, sans condition, des transferts fédéraux en santé, pendant 10 ans. La part du financement fédéral en santé passerait de 21 % actuellement à 25 %, l'objectif des provinces. Le fédéral aurait ainsi à débourser 16 milliards de plus au pays en 2026-2027 (67,6 milliards avec l'offre du Québec, 51,5 milliards avec l'offre fédérale).

DÉPENSES

OTTAWA

« Le Canada est l'un des pays qui dépensent le plus en santé et nous n'avons pas atteint les résultats que les Canadiens veulent et méritent. [...] Les derniers accords en santé ne se sont pas attaqués aux problèmes structurels. [...] [Ottawa] a une obligation de faire davantage que d'ouvrir le chéquier fédéral », a dit la ministre fédérale de la Santé Jane Philpott lors d'un congrès à Ottawa, à la fin du mois de septembre.

QUÉBEC

« Oui, des réformes sont nécessaires en santé. Et j'en fais. Mais il y a des coûts quand même, qui augmentent avec le vieillissement de la population. On veut que la psychothérapie soit gratuite au Québec. Je dis O.K. Mais l'argent, je le prends où ? », demande le ministre québécois de la Santé, Gaétan Barrette, qui estime que « le financement doit venir en premier ».

ASYMÉTRIE

OTTAWA

Le gouvernement Trudeau veut faire des ententes bilatérales avec chacune des provinces, incluant « une entente faite pour le Québec », selon la ministre Philpott.

QUÉBEC

Québec ne veut pas se faire imposer de conditions au financement fédéral en santé, en vertu du principe du fédéralisme asymétrique négocié lors de l'entente sur la santé en 2004. « On a l'impression que le gouvernement fédéral veut se libérer de la clause du fédéralisme asymétrique. Je refuse d'aller dans cette discussion-là », dit le ministre Barrette, qui parle d'une « tactique élégante et grossière en même temps » du gouvernement fédéral.

HAUSSE ANNUELLE

OTTAWA

La ministre Philpott estime qu'il « est possible » pour les provinces de gérer leur système de santé avec une hausse de 3 % par an. Ottawa note que les provinces ont augmenté en moyenne leurs dépenses en santé à un rythme inférieur à 3 % par an au cours des dernières années. Selon l'Institut canadien d'information sur la santé, les dépenses provinciales dans le régime public de santé ont augmenté en moyenne de 2,6 % par an entre 2011 et 2015 (2,9 % par an pour le Québec).

QUÉBEC

Québec fait valoir que ses coûts de système augmentent de 3 % par an sans donner de soins supplémentaires (0,36 % pour la dette, 0,19 % pour les fonds de retraite, 0,4 % pour les échelons salariaux, 2,05 % pour l'entente avec les employés du secteur public). Le ministre Barrette critique aussi sévèrement la volonté d'Ottawa d'imposer des conditions. « Le fédéral n'a pas la compétence pour agir en santé, dit-il. S'ils avaient la compétence, la santé des autochtones irait mieux. »

SOINS À DOMICILE

OTTAWA

Environ 15 % des lits des hôpitaux sont occupés par des patients qui devraient bénéficier de soins à domicile ou dans les maisons d'hébergement de longue durée. L'écart de coût : 840 $ par lit d'hôpital en Ontario, contre 42 $ pour des soins à domicile. Au pays, 10 milliards sont consacrés aux soins à domicile, soit 5 % des budgets des provinces en santé. « Ce n'est probablement pas assez », dit la ministre fédérale Jane Philpott, qui offre environ 1 milliard de plus par année aux provinces.

QUÉBEC

« J'admets que notre gouvernement n'a pas tout fait [en matière de soins à domicile] », dit le ministre Barrette. Sauf que les sommes offertes par Ottawa (232 millions/an pour le Québec) sont insuffisantes, selon lui. Le Québec dépense déjà 1,34 milliard par an (en 2014-2015). Selon Québec, les cas les plus lourds de soins à domicile coûteraient 970 millions supplémentaires, et l'ensemble des cas, 5,5 milliards. « On est extrêmement loin du compte », dit le ministre Barrette.

INNOVATION

OTTAWA

« La réalité est que le dysfonctionnement et l'inefficacité sont intégrés dans nos systèmes, estime la ministre Philpott. C'est choquant à l'ère de Facebook et du commerce électronique, la plupart des Canadiens ne peuvent pas consulter leur dossier médical en ligne », dit-elle, voulant aussi que la prise de rendez-vous et certaines consultations médicales puissent se faire en ligne.

QUÉBEC

S'il se dit favorable à l'innovation, le ministre Barrette estime que les besoins en santé augmentent à un rythme tel que l'innovation à elle seule « ne permet pas d'y arriver ». Il émet également une mise en garde : « L'innovation ne suggère pas toujours des économies. [...] Au bout de la ligne, il y a toujours un coût. Au mieux, l'innovation permet le contrôle de la croissance des coûts. Au pire, elle augmente la croissance des coûts. »

SANTÉ MENTALE

OTTAWA

Le gouvernement Trudeau estime que la dépression et l'anxiété coûtent environ 50 milliards à l'économie canadienne, et la moitié des Canadiens ne consultent pas de médecin à ce sujet. Le suicide est responsable de 25 % des morts chez les 15-24 ans. « C'est devenu évident que nos systèmes ne sont pas bien conçus pour traiter les maladies mentales. [...] Nous faisons ce que nous pouvons avec ce que nous avons », dit la ministre Philpott.

QUÉBEC

Le gouvernement Couillard rappelle que les libéraux n'ont pas inscrit les sommes pour la santé mentale dans leur plateforme électorale. Québec investit 1,28 milliard en santé mentale et estime les besoins supplémentaires à environ 700 millions. « On nous demande de construire deux rallonges à notre maison : la santé mentale et les soins à domicile. Mais on nous demande de le faire en diminuant les transferts. Ce n'est pas réaliste », estime le ministre Barrette.