Au moins trois femmes enceintes vivant au Québec ont été infectées par le virus Zika et se sont retrouvées plongées dans l'inquiétude pendant des semaines en raison de l'incertitude entourant le risque de transmission au foetus et de malformations.

Le centre hospitalier Sainte-Justine, qui a été désigné comme l'établissement de référence pour le suivi des cas de cette nature dans la province, a confirmé la situation cette semaine à La Presse.

Le ministère de la Santé du Québec refuse pour sa part, depuis le début de la crise, de préciser le sexe et le lieu de résidence des personnes touchées par le virus, arguant qu'il est nécessaire de taire ces informations « pour des raisons de confidentialité ».

La Dre Isabelle Boucoiran, qui est rattachée à la clinique des grossesses avec maladies infectieuses de Sainte-Justine, a précisé vendredi que l'une des femmes avait aussi obtenu confirmation de l'infection du foetus qu'elle portait avant de donner naissance à un bébé apparemment en bonne santé. « On ne sait pas pour l'instant si les deux autres foetus sont infectés », a-t-elle noté.

La gynécologue-obstétricienne n'a pas précisé comment ces femmes avaient été infectées. La quasi-totalité des cas recensés au Québec et au Canada à ce jour - 251 selon le dernier décompte de l'Agence de la santé publique du pays, tous sexes confondus - découlent de piqûres survenues à l'étranger dans des zones où les moustiques porteurs du virus sont actifs.

L'Organisation mondiale de la santé recommande aux femmes enceintes de s'abstenir de voyager dans les pays les plus touchés et de multiplier les mesures de protection si elles sont tenues de le faire.

Les praticiens de Sainte-Justine ont fort à faire pour aider les femmes enceintes qui craignent, à tort ou à raison, d'avoir été infectées.

D'abord, le processus pour confirmer l'infection de la femme enceinte prend minimalement un mois puisque les échantillons d'urine ou de sang utilisés pour détecter sa présence sont envoyés dans un laboratoire spécialisé de Winnipeg qui ne peut procéder plus rapidement.

Il existe par ailleurs une incertitude sur l'efficacité des tests sérologiques, qui peuvent déboucher sur des « faux positifs ».

Une fois qu'elles ont appris si elles sont infectées ou non par le virus, les femmes enceintes doivent composer avec le fait que les risques de transmission au foetus sont mal connus. Les risques subséquents de malformations congénitales sont aussi incertains.

Le protocole élaboré à Sainte-Justine pour le suivi du Zika évoque une étude brésilienne montrant que les foetus de 29 % des femmes infectées du groupe considéré, soit 12 sur 42, ont présenté des malformations comme une microcéphalie, des anomalies cérébrales ou un retard de croissance.

La Dre Boucoiran note que les femmes dont les foetus sont potentiellement infectés sont suivies de près, notamment par résonance magnétique, de manière à déceler les problèmes le plus rapidement possible.

LE DIFFICILE CHOIX DE L'AVORTEMENT

Leur détection peut cependant prendre plusieurs mois et survenir à un stade de grossesse avancé, rendant une éventuelle interruption plus délicate. L'avortement tardif soulève de complexes questions éthiques et suscite le malaise de certains praticiens.

Au Québec, les femmes qui désirent se faire avorter entre 20 et 24 semaines sont normalement dirigées vers le CLSC des Faubourgs, à Montréal, où les interruptions de grossesse sont pratiquées sous la gouverne du Dr Jean Guimond. Une demi-douzaine de spécialistes et d'omnipraticiens sont en mesure de les faire sur place.

Au-delà de 24 semaines de gestation, les femmes enceintes sont envoyées dans une clinique spécialisée aux États-Unis, un pays où, ironiquement, l'accès à l'avortement fait l'objet d'une bataille féroce. Les frais de l'intervention sont pris en charge par le ministère de la Santé. « On leur demande si elles ont un passeport et si elles peuvent voyager », relève le médecin.

La loi, rappelle-t-il, permet théoriquement aux femmes d'obtenir un avortement sans restriction au Canada jusqu'à l'accouchement. Dans les faits, le recours à l'avortement tardif est plutôt rare. Douze femmes québécoises ont été envoyées dans une clinique américaine à cette fin en 2015-2016, contre 21 l'année précédente.

Le Dr Guimond espère que les femmes québécoises qui sont infectées par le Zika et qui désirent un avortement pourront procéder sans se heurter à des praticiens ou des établissements réticents.

La Dre Boucoiran note que le centre hospitalier Sainte-Justine peut offrir une interruption « médicale » de grossesse à un stade avancé de gestation, pouvant par exemple aller au-delà de 24 semaines, s'il est établi que le foetus fait l'objet d'un pronostic « sévère, voire létal ».

Dans un tel cas, une équipe multidisciplinaire de diagnostic prénatal est appelée à se prononcer sur l'opportunité de l'intervention.

La décision définitive de procéder ou non revient cependant à la femme concernée et à son conjoint.

Les trois femmes enceintes infectées qui ont été suivies à Sainte-Justine n'ont pas demandé d'avortement après avoir pris la mesure de leur situation et des risques posés par l'infection, a-t-elle précisé.

Le Dr Guimond est convaincu, quoi qu'il en soit, que plusieurs femmes québécoises touchées par le virus vont vouloir interrompre leur grossesse, ce qui fera augmenter les demandes d'avortement tardif dans la province.

Ni l'Agence de la santé publique du Canada ni le ministère de la Santé du Québec ne disent avoir pris des mesures pour l'heure afin de faire face à une demande accrue à ce niveau.

La peur des malformations congénitales liées au Zika a fait augmenter les demandes d'avortement dans les pays du Sud touchés de plein fouet par la crise alors que ces interventions sont souvent carrément interdites par la loi.

Selon une étude du New England Journal of Medicine, le nombre de demandes d'aide auprès de Women on Web, une organisation néerlandaise transmettant par la poste des produits abortifs, a plus que doublé au Brésil, l'un des pays les plus touchés par la crise.

2,5 milliards de personnes menacées

Une nouvelle étude parue dans The Lancet, diffusée vendredi par l'Agence France-Presse, estime que le Zika menace plus de 2,5 milliards d'habitants de l'Afrique et de l'Asie. L'étude en question, chapeautée par un chercheur canadien rattaché à l'hôpital torontois St. Michael's, repose notamment sur une analyse du climat et des populations de moustiques portant le virus. Les Nations unies ont rappelé de leur côté que l'épidémie de Zika demeurait une « urgence sanitaire de portée internationale ».