Estimant qu'un nombre croissant de Québécois, non admissibles à l'aide médicale à mourir, se donneront la mort par le jeûne, le Collège des médecins du Québec planche actuellement sur la création d'un « guide de pratique » pour aider les médecins à accompagner leurs patients qui se laisseront mourir de faim et de soif.

« Les gens auront de plus en plus l'attente d'être éligibles à l'aide médicale à mourir. Mais il y aura toujours des gens qui n'y auront pas accès. On s'attend à ce qu'un nombre croissant de patients se tournent vers d'autres choix », explique le secrétaire du Collège des médecins, le Dr Yves Robert.

Puisque le Collège « se doit de guider la pratique des médecins », des explications sur le suivi médical à offrir à une personne qui jeûne seront préparées, souligne le Dr Robert.

Dans une lettre ouverte publiée hier dans La Presse, le Dr Pierre Viens racontait l'histoire de sa patiente, Hélène L., morte au 14e jour d'un jeûne total à l'âge de 70 ans. Atteinte de sclérose en plaques depuis 20 ans, Hélène L. n'a pu obtenir l'aide médicale à mourir comme elle le désirait, car elle n'était pas considérée comme étant en « fin de vie ». Résignée, elle s'est laissée mourir de faim et de soif.

Pour le Dr Viens, un médecin de soins palliatifs qui a administré l'aide médicale à mourir à quatre personnes depuis décembre, le fait que des patients en soient rendus là est une « anomalie » causée par un « marécage juridique » qui doit absolument être corrigé.

LA FIN DE VIE

Depuis le mois de décembre 2015, près d'une trentaine de personnes ont vu leur demande d'aide médicale à mourir refusée au Québec sous prétexte qu'elles ne répondaient pas aux critères de la loi.

Critères pour être admissible à l'aide médicale à mourir, selon la loi québécoise concernant les soins de fin de vie

1. Être assuré au sens de la Loi sur l'assurance maladie

2. Être majeur et apte à consentir aux soins

3. Être en fin de vie

4. Être atteint d'une maladie grave et incurable

5. Se trouver dans une situation médicale caractérisée par un déclin avancé et irréversible de ses capacités

6. Éprouver des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans les conditions jugées tolérables.

Pour le Dr Viens, l'obligation d'être en « fin de vie » pour obtenir l'aide médicale à mourir doit être revue. « La loi doit être réécrite. Parce qu'actuellement, seule les personnes atteintes de cancer et dont la mort est prévisible peuvent obtenir l'aide médicale à mourir. Presque toutes les personnes souffrant de maladie dégénérative ne sont pas éligibles. C'est discriminatoire pour toute une catégorie de patients qui ne sont pas considérés en "fin de vie biologique" », plaide le Dr Viens.

Cet avis est partagé par l'avocat spécialisé en défense des droits des patients, Me Jean-Pierre Ménard.

« Certains patients se sont fait enlever le droit de mourir », soutient-il. Me Ménard dit avoir « plusieurs dossiers à l'étude » afin de contester les lois devant les tribunaux. Il était d'ailleurs en démarches avec Hélène L., mais faute de temps et de moyens, la patiente a abandonné les démarches, explique le Dr Viens.

UN FLOU JURIDIQUE

En entrevue à La Presse, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, affirme que l'histoire d'Hélène L. est « très triste » et montre une fois de plus que la loi fédérale C-14 « ne répond pas à l'arrêt Carter » (voir encadré).

Le ministre se dit prêt à faire le débat sur le suicide assisté « dès demain matin ». Mais il dit attendre la décision des tribunaux de la Colombie-Britannique dans ce dossier avant d'aller de l'avant.

Le ministre Barrette reconnaît qu'un certain flou existe actuellement au Québec autour de la pratique de l'aide médicale à mourir, car plusieurs lois se côtoient.

Le ministre affirme toutefois que, dans des cas comme celui d'Hélène L., rien n'empêche dans les faits les médecins de procéder à l'aide médicale à mourir « s'ils estiment qu'ils respectent le Code criminel ». « Nous avons déjà dit que nous ne poursuivrions pas les médecins qui iraient en ce sens », soutient M. Barrette.

Mais pour le Collège des médecins, très peu de médecins sont prêts à prendre ce risque. 

« On a une loi qui porte à interprétation. Si le médecin se trompe, il s'expose à une poursuite criminelle. Personne ne veut s'exposer à ça », dit le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins.

Pour le Dr Viens, les lois actuelles « ne sont pas faites pour les patients ». « Elles sont faites pour protéger les bureaucrates et les politiciens. Il faut absolument les réécrire », dit-il. Le Dr Robert affirme qu'« aucune loi ne va pouvoir prévoir toutes les situations » de patients désirant obtenir l'aide médicale à mourir.

« Que les lois soient revues ou non, des critères d'admissibilité seront établis, et des patients exclus chercheront d'autres options. [...] Au cours des dernières années, il y a eu quelques cas de patients s'étant laissés mourir par le jeûne. Ça crée des malaises. Mais malheureusement, c'est une réalité avec laquelle on doit vivre et on pense que le nombre de cas ira en augmentant. Puisque la notion de jeûne n'est pas enseignée dans les écoles de médecine, on produira un guide pour soutenir les médecins. »