C'est toute la profession qui est ébranlée. Le syndic de l'Ordre des pharmaciens affirme qu'un imposteur gravement malade, qui a obtenu son permis de pratique frauduleusement, s'est érigé un empire d'une quarantaine de pharmacies Uniprix au sein duquel les pires dérives étaient érigées en système, au péril de centaines de patients. Des sommes colossales sont maintenant en jeu, alors que les autorités demandent la radiation immédiate de Jonathan-Yan Perreault.

DU JAMAIS-VU

Le principal intéressé est âgé de 37 ans et n'exerce que depuis 2005. En une dizaine d'années, il a acquis, parfois en utilisant des prête-noms, une quarantaine de pharmacies affiliées à l'enseigne Uniprix. Dans la plupart des cas, il est propriétaire à 50 % des établissements avec un associé local, dont il a financé la participation. Une associée a raconté au syndic de l'Ordre que « certains dirigeants d'Uniprix de l'époque étaient au courant de la situation puisque ce sont eux qui lui ont imposé l'association avec M. Perreault ».

UN HOMME MALADE

« Mon client est malade », a reconnu d'emblée l'avocate de Jonathan-Yan Perreault, MDominique-Anne Roy, lors de l'audience tenue hier au conseil de discipline de l'Ordre. Elle a toutefois demandé qu'une partie des informations médicales de son client soient frappées d'un interdit de publication, notamment le témoignage d'une psychiatre. Les avocats de La Presse se sont opposés à cette demande et le conseil doit rendre une décision à ce sujet aujourd'hui. Il est toutefois permis de rapporter que Jonathan-Yan Perreault aurait un problème d'abus de stupéfiants. Sa conjointe a évoqué devant le tribunal une consommation d'antidépresseurs et d'oxycodone, un puissant opiacé. La syndique de l'Ordre, Lynda Chartrand, dit avoir recueilli les témoignages de plusieurs collègues qui le soupçonnaient d'être souvent fortement drogué, même lorsqu'il pratiquait. Mme Chartrand elle-même, lors d'une rencontre à sa pharmacie de Mont-Tremblant, a constaté qu'il avait les pupilles « très, très dilatées » et un comportement « étrange ».

FAUSSES ORDONNANCES

Selon la syndique, le pharmacien aurait fabriqué de fausses ordonnances portant la signature d'un certain docteur André Berdnikoff, afin d'obtenir des médicaments pour lui, son fils et des patients. Certains de ces patients avaient des notes de médecin à leur dossier indiquant qu'ils étaient connus pour revendre leurs stupéfiants sur le marché noir.

COMMERCE ILLICITE

C'est une pharmacienne employée d'un centre de santé et de services sociaux (CSSS) qui a alerté en premier l'Ordre au sujet de M. Perreault, en 2014, parce qu'il avait contacté un médecin d'un CSSS dans l'espoir de lui acheter des échantillons de médicaments destinés à la revente. Rapidement, la syndique a rendu visite à M. Perreault et a constaté plusieurs indices de commerce illicite : de grands stocks de médicaments expirés ou proches de l'expiration, certains réemballés sans identification, de fausses étiquettes, sans compter les centaines de boîtes de sildanéfil (le générique du Viagra) qui étaient de toute évidence destinées à d'autres fins que la vente au détail légale, selon elle. L'enquête a démontré qu'une partie de ce stock était destinée à de la vente en gros à d'autres pharmaciens, ce qui est interdit. Même au comptoir, il aurait vendu des calmants sans ordonnance et facturé le prix de médicaments de marque (plus élevé) alors qu'il refilait en fait un générique au client, selon la preuve amassée.

PATIENTS MIS EN DANGER

« Il est carrément dangereux au laboratoire, il faut faire quelque chose », a raconté une employée de Perreault à la syndique. Un jour, il aurait donné par négligence des somnifères à une patiente qui venait chercher des antibiotiques. « La dame a pris des somnifères trois, quatre fois par jour au lieu de ses antibiotiques, imaginez l'impact », a raconté la syndique. M. Perreault a ensuite offert une carte-cadeau de 500 $ à la patiente pour la dissuader de porter plainte.

RISTOURNES ILLÉGALES

Le syndic affirme que le vaste réseau de pharmacies détenu par Perreault lui permettait de collecter de juteuses redevances illégales de la part de fournisseurs de médicaments qu'il favorisait, comme Apotex, Bio-Med, Cobalt, Teva et Jamp Pharma. Il aurait aussi pactisé avec des résidences de personnes âgées et des centres de désintoxication, à qui il offrait des pots-de-vin en échange d'un accès commercial à leurs clientèles vulnérables. Toujours en quête de croissance, il aurait proposé 25 000 $ à un employé d'Uniprix pour chaque nouvelle pharmacie que celui-ci l'aiderait à acquérir.

ENTRAVE

La syndique a raconté comment M. Perreault a utilisé tous les moyens imaginables pour entraver son travail : il a menti, fabriqué de faux documents, falsifié des signatures, utilisé des prête-noms, caché du matériel, refusé de passer un test de dépistage de drogue. Son recours aux faux documents n'est d'ailleurs pas nouveau, selon Mme Chartrand : elle dit avoir découvert récemment que M. Perreault avait falsifié sa fiche d'inscription à un stage et produit un faux rapport de maître de stage, afin d'obtenir son permis de pratique en 2005.

MENACES ET VOIES DE FAIT

Quand il a senti la soupe chaude, M. Perreault s'est mis à menacer les gens autour de lui, selon la syndique. Il disait être assez riche pour se défendre pendant 12 ans et ruiner ses adversaires dans toute procédure judiciaire. « Vous allez avoir le contentieux de la bannière [Uniprix], le contentieux de McKesson [un grossiste en médicaments avec qui il faisait affaire] pis notre contentieux contre vous », a-t-il déclaré à des collègues soupçonnés de l'avoir dénoncé. Il aurait aussi forcé plusieurs employés à signer de faux documents qui l'exonéraient de certaines fautes. « Les employés pleurent, ils ont peur de M. Perreault, ils disent qu'il va les mettre à la porte », a raconté Mme Chartrand hier.

FORTUNE EN JEU

Devant tant d'infractions, le syndic demande la radiation provisoire d'urgence de M. Perreault, d'ici à ce que le comité de discipline de l'Ordre puisse étudier l'affaire sur le fond. Mais hier, son avocate Dominique-Anne Roy a demandé que l'audience soit remise à une date indéterminée, parce que son client a fait une tentative de suicide et s'est retrouvé interné en psychiatrie lorsqu'il a reçu la demande de radiation, il y a quelques jours. Il n'a donc pu se présenter à l'audience ni donner d'instructions, dit-elle. Le procureur du syndic, Me Philippe Frère, s'est vigoureusement opposé à toute remise. Il a indiqué que les collaborateurs de M. Perreault, dont sa conjointe, travaillent activement à vendre sa quarantaine de pharmacies. La conjointe du pharmacien a confirmé que des offres ont été faites à des concurrents comme Groupe Jean Coutu, Brunet et Proxim. Certains de ces établissements peuvent valoir des millions. Or, pour les vendre ainsi à la concurrence, M. Perreault doit demeurer pharmacien. S'il est radié, ses employés reprennent automatiquement ses parts, à un prix qui ne sera pas nécessairement avantageux pour lui. « C'est cousu de fil blanc ! Un avocat ne peut pas aller se cacher à l'hôpital quand il reçoit un avis de radiation ! Quelle coïncidence : il est dans un processus pour se débarrasser de ses pharmacies, et s'il est radié, il va perdre beaucoup d'argent ! », s'est exclamé Me Frère. Le conseil de discipline doit rendre une décision à cet effet ce matin.

Photo tirée de l'internet

Accusé de 18 violations à son code de déontologie, dont usage de substances psychotropes, fraude et recours à des prête-noms, Jonathan-Yan Perreault, est désormais menacé de radiation.

LA LISTE DES PHARMACIES DE JONATHAN-YAN PERREAULT

990, rue de Saint-Jovite, Mont-Tremblant

1615, boulevard Jacques-Cartier Est, Longueuil

725, rue de Roxton, Acton Vale

140, chemin de Saint-Jean, La Prairie

611, 1re Rue, La Pocatière 

1200, 6e Avenue, La Pocatière

863, boulevard Yvon-L'Heureux Nord, Beloeil

1090, boulevard des Seigneurs, Terrebonne

15, boulevard Montcalm Nord, Candiac

1, rue Quintal, Charlemagne

369, rue de la Couronne, Québec

2044, rue Fleury Est, Montréal

650, avenue Murray, Québec

5647, avenue du Parc, Montréal

440, chemin des Quatre-Bourgeois, Québec

2280, boulevard Guillaume-Couture, Lévis

905, boulevard René-Lévesque Ouest, Québec

1150, boulevard Lebourgneuf, Québec

101, boulevard Taché Ouest, Montmagny

481, chemin Vire-Crêpes, Lévis

79, avenue de La Fabrique, Montmagny

7, rue de l'Aqueduc, Victoriaville

83, rue Saint-Pierre, Terrebonne

2111, boulevard Lapinière, Brossard

2745, boulevard de La Pinière, Terrebonne

1190, boulevard Louis-XIV, Québec

624, rue Bowen Sud, Sherbrooke

832-A, boulevard Curé-Labelle, Blainville

891, rue Jacques-Bédard, Québec

4349, rue Bélanger, Montréal

2135, rue Jean-Talon Est, Montréal

466, boulevard Sir-Wilfrid-Laurier, Mont-Saint-Hilaire

1332, boulevard Wallberg, Dolbeau-Mistassini

338, rue Saint-Jacques, Granby

100-600, boulevard Harwood, Vaudreuil-Dorion

84, rue Court, Granby

1038, rue Saint-Joseph, Valcourt

499-200, boulevard d'Anjou, Châteauguay

175, chemin Sanguinet, Saint-Philippe

5634, boulevard Henri-Bourassa, Montréal