Le projet de super-cliniques du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, ne suscite pas l'enthousiasme chez les médecins de famille du Québec. Jusqu'à maintenant, une vingtaine de cliniques ont contacté le ministère de la Santé pour obtenir des détails sur l'obtention de ce statut, mais aucune n'est encore engagée officiellement dans le processus. Et au moins trois polycliniques majeures, qui étaient des candidates pressenties pour devenir des super-cliniques, refusent pour l'instant d'embarquer dans le projet, estimant que les exigences sont trop importantes, a appris La Presse.

Qu'est-ce qu'une super-clinique ?

Le 25 avril, le ministre Barrette présentait le cadre de gestion des 50 nouvelles super-cliniques qu'il souhaite implanter au Québec d'ici 2018. Les super-cliniques seront des groupes de médecine de famille (GMF), qui devront offrir plus de services et recevront en échange plus de financement.

Certaines exigences des super-cliniques : 

• Ouvrir ses portes 12 heures par jour, 7 jours sur 7

• Offrir un minimum de 20 000 consultations par année

• Permettre la prise de rendez-vous chaque jour jusqu'à trois heures avant la fermeture

• Offrir plus de couverture durant les épisodes annuels de grippe

• Offrir un accès à des prélèvements et des échographies publiques



« Accepter, c'est se tirer dans le pied »


La Polyclinique médicale Pierre-Le Gardeur à Repentigny a le profil idéal pour devenir une super-clinique. Elle soigne déjà 35 000 patients par année, est ouverte tous les jours, jusqu'à 16 h les fins de semaine, et offre un accès à des laboratoires et à des services de radiologie. Malgré tout, l'établissement ne souhaite pas devenir une super-clinique. « Il n'y a pas d'avantages réels. Accepter, c'est se tirer dans le pied », clame le codirecteur de la polyclinique, le Dr Luc LaSalle.

« Barrette n'attaque que les premiers trios »

Le Dr LaSalle n'est pas contre les réformes du ministre Barrette. Il affirme que 40 % des médecins de famille de la province ont moins de 500 patients en prise en charge, ce qui est « inacceptable ». Mais le cadre de gestion des super-cliniques est selon lui injuste. « Les médecins, nous sommes comme une équipe de hockey. Nous sommes des privilégiés de la société. Et nous avons des premiers et des quatrièmes trios. Mais le cadre de gestion des super-cliniques attaque uniquement les premiers trios... Ça n'a pas de sens », dit-il. « Au lieu d'installer quatre super-cliniques dans Lanaudière, pourquoi on n'obligerait pas tous les GMF existants à offrir plus d'heures d'ouverture ? », demande-t-il.

« Pas tous des cas urgents »

Le Dr LaSalle ajoute que plusieurs des patients qui consultent au service sans rendez-vous de sa polyclinique ne sont « pas des cas urgents ». « S'ils n'ont pas été vus avant 16 h la fin de semaine, ces cas peuvent attendre au lundi », dit-il. Le Dr LaSalle souligne que lorsque le temps est clément ou que, par exemple, le Canadien de Montréal joue, la salle d'attente de sa clinique est vide. « La demande, elle n'est pas nécessairement là », constate-t-il.

« Les super-cliniques, on va les remplir, dit Barrette »

« Je demande aux médecins de commencer, et nous ajusterons le tir ensuite. La population s'attend à ça. Les super-cliniques, on va les remplir », réplique le ministre Barrette, qui accuse les médecins de bouder son projet parce qu'ils ne veulent pas travailler la fin de semaine. Si trop peu de patients se présentaient dans les super-cliniques les fins de semaine, les médecins pourraient en profiter pour y inscrire des rendez-vous, dit-il. Les urgences des hôpitaux pourraient aussi référer les cas les moins urgents dans les super-cliniques. Persuadé que les super-cliniques sont « la principale solution au problème d'engorgement des urgences », le ministre Barrette dit ne pas écarter la possibilité de « prendre les mesures appropriées », pour inciter les cliniques à participer au projet.

« Il frappe les meilleurs »

« Plus de 5000 omnipraticiens travaillent déjà le soir et la fin de semaine ! Plusieurs font des gardes en hospitalisation, en obstétrique... Dire que nos médecins ne veulent pas travailler le soir et la fin de semaine parce qu'ils veulent souper au restaurant, c'est insultant », tonne le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le Dr Louis Godin. Directrice de la Polyclinique médicale Pierre-Le Gardeur, Fabienne Dionne, abonde dans son sens.« L'ambiance est déjà tendue actuellement. On accuse les médecins de ne pas en faire assez. Pourtant, nos médecins travaillent très fort. Mais les patients sont de plus en plus agressifs. C'est triste », dit-elle. Mme Dionne dit comprendre les réformes du ministre Barrette, « mais il frappe sur les meilleurs ».

D'autres propositions

Le Dr Godin explique que la FMOQ avait déjà proposé à Québec de créer un réseau de 70 cliniques ouvertes 76 heures par semaine, jusqu'à 16 h la fin de semaine. Avec ses super-cliniques, le ministre Barrette souhaite plutôt établir un réseau de 50 cliniques, ouvertes 84 heures par semaine, jusqu'à 20 h la fin de semaine. Selon le Dr Godin, la Polyclinique Concorde à Laval a déjà été ouverte 12 heures par jour. « Mais ils ont finalement diminué ces heures, car ça ne répondait pas aux besoins de la population. Je veux bien convaincre mes membres d'embarquer. Mais personne ne nous a fait la démonstration de la nécessité de ça », dit-il. Selon l'Association des cliniques médicales du Québec (ACMQ), qui a tenu la semaine dernière une réunion extraordinaire avec plusieurs GMF-réseau de la province pour discuter du projet, les heures d'ouverture ne sont pas « l'enjeu principal ». « Il y a plutôt des inquiétudes comme le problème d'accès à des services de radiologie la fin de semaine », note la directrice Générale, Isabelle Girard.

Pas d'enthousiasme à Laval

À Laval, les 25 médecins de la Polyclinique médicale Concorde ne se sont pas encore prononcés définitivement dans le dossier des super-cliniques. « Mais il n'y a pas grand enthousiasme. Il y a plus de médecins qui sont contre le projet actuellement », note le Dr Patrick Parisé de la Polyclinique Concorde. Au moins un autre GMF-réseau de Laval est dans la même situation. Si les GMF-réseau refusent de devenir des super-cliniques, ils devront « se replier sur leur mission GMF », note le Dr Godin, qui estime que les patients sans médecin de famille seront alors moins bien servis. « On va mettre fin à des cliniques qui fonctionnent, juste parce qu'on ne répond pas à des normes qui nous ont été imposées... Ça n'a pas de sens », déplore le Dr LaSalle.