Même si le ministre Gaétan Barrette soutient que la décision d'abolir le poste de commissaire à la santé est purement financière - une économie de 2,5 millions -, la tension était palpable depuis longtemps entre ce haut fonctionnaire et le ministère de la Santé.

Il y a un an déjà, le torchon brûlait entre le commissaire Robert Salois, chien de garde de la qualité des services, et le ministère de la Santé. Son rôle de critiquer les décisions du Ministère sera à l'avenir assumé par l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESS) et par l'Institut national de santé publique (INSPQ).

L'INESS est l'organisme dirigé pendant plusieurs années par Roberto Iglesias, celui que Philippe Couillard a choisi pour diriger l'ensemble de la fonction publique. Le principal mandat de l'INESS est de décider de la liste des médicaments reconnus par la Régie de l'assurance maladie. L'INSPQ est dirigé par Nicole Damestoy, propulsée à la présidence après avoir été médecin-conseil à l'Agence de la santé de Laval. Mme Damestoy est la conjointe du Dr Patrick Harris, chirurgien plasticien et ami de Gaétan Barrette, nommé dans la controverse directeur de son département au Centre hospitalier de l'Université de Montréal.

Dans une lettre transmise par le Dr Salois au ministre Barrette en mai 2015, le commissaire Salois exprime sans détour son mécontentement devant les rumeurs voulant, déjà l'an dernier, qu'on abolisse son organisme.

«Depuis plusieurs mois, on me rapporte des rumeurs émanant de rencontres auxquelles participent des employés du Ministère à l'effet qu'on fusionnera ou abolira le Commissaire à la santé. Ces rumeurs sont telles que des journalistes, notamment de la colline Parlementaire, ont sollicité à plusieurs reprises au cours des derniers mois des commentaires de ma part», relève le Dr Salois dans sa lettre, que La Presse a obtenue.

Rappelant qu'il avait toujours été solidaire des décisions du Ministère, et qu'il avait géré rigoureusement les fonds publics, le commissaire indique qu'il ne tolère pas qu'on le laisse sur la touche quand on prend une décision par rapport à l'avenir de sa boîte. «Tant que je serai imputable de la gestion et des résultats de mon organisation, je revendique le droit de présider aux décisions qui la concernent et d'être interpellé lorsqu'on souhaite l'impliquer.»

Au cas où la décision d'abolir l'organisme était prise, le commissaire «offrait sa plus entière collaboration», mais soulignait que dans un tel cas, «la transparence devait être de mise».

À l'origine, par sa lettre, le commissaire voulait marquer sa colère d'avoir appris sur le tard que le ministère de la Santé prévoyait un déménagement de son organisme.

En entrevue hier, le commissaire Salois a souligné que la disparition de son poste était «un coup qu'on n'a pas vu venir». «On est très inquiets pour l'équipe, on est 22 personnes, des jeunes qui ont besoin de travailler», observe-t-il. L'économie quant aux employés ne sera pas évidente, puisque plusieurs sont dans la fonction publique et seront récupérés par le ministère de la Santé ou par l'INESS, relève M. Salois.

Sa lettre de l'an passé visait surtout à relever qu'il n'avait pas aimé apprendre par l'intranet que son bureau déménageait, intégré dans un édifice où se trouvait déjà le ministère de la Santé. «On avait besoin d'un numéro de porte pour établir notre indépendance...», explique-t-il. Le ministre Barrette avait répondu alors «qu'il était très satisfait des travaux du commissaire», des louanges qu'il a reprises récemment dans une commission parlementaire.

«On lui a dit que si votre décision est de revoir la structure, on vous offre notre collaboration, mais on veut que cela se fasse en toute transparence», a souligné M. Salois. Pour lui, la disparition du Commissaire «est une grande perte pour le système de santé et la population. On est à un moment où on fait des changements de structures, on a une organisation pour les mesurer, contribuer aux ajustements», observe M. Salois.

Même si le Commissaire dépend du ministre Barrette, c'est le sous-ministre Michel Fontaine qui a passé un coup de fil pour annoncer la disparition du bureau, observe M. Salois, dont le mandat devait se terminer en août prochain. La disparition du bureau du Commissaire, une ligne perdue dans les documents budgétaires de jeudi dernier, sera matérialisée dans un projet de loi omnibus qui n'est pas encore déposé à l'Assemblée nationale.

Hier, le ministre Barrette a répété en point de presse que seule une question budgétaire avait incité le gouvernement à abolir le poste de commissaire à la santé. «C'est une question de retour à l'équilibre budgétaire. Ce n'est pas de gaieté de coeur, mais si au Québec on veut continuer à donner des services, il faut avoir un budget équilibré. On a constaté un chevauchement des fonctions et des équipes. M. Salois faisait un excellent travail. Les [partis] d'opposition peuvent en faire un drame, nous accuser de tout [...], c'est de la schizophrénie parlementaire!», a-t-il lancé.

Le retour à l'équilibre budgétaire vient de «centaines de millions qui sont la somme de décisions comme celle-là. Quand j'étais petit, on disait qu'avec des sous, on fait des piastres... c'est avec des millions qu'on fait des milliards. La population comprend ça», a soutenu M. Barrette.

Photothèque Le Soleil

Le commissaire à la santé, Robert Salois