Le président du Conseil du trésor, Sam Hamad, abandonne la stratégie audacieuse de son prédécesseur Martin Coiteux, qui cherchait à limiter la croissance de la rémunération des médecins. Ils toucheront finalement les mêmes hausses salariales que les employés de l'État, et non seulement une partie. Ils ont ainsi la garantie d'empocher 368 millions de dollars de plus par année, plutôt que 210 millions.

La décision du gouvernement Couillard a également un impact sur environ 50 000 autres travailleurs. En effet, comme les médecins, les éducatrices en milieu familial et les personnes hébergeant des handicapés, par exemple, détiennent une clause de parité salariale avec le secteur public, mieux connue sous le nom de clause remorque. Ces clauses donneront finalement droit à des augmentations salariales de 5,25 % d'ici 2018. Québec cherchait à ce que ce soit seulement 3%, une stratégie dénoncée autant par les fédérations médicales que par les centrales syndicales.

Comme La Presse l'a révélé à la fin du mois de janvier, Martin Coiteux, alors au Trésor, avait l'intention de limiter la portée des clauses remorques, surtout dans le but de donner moins d'argent aux médecins. Pour y arriver, il voulait que les textes finaux de l'entente avec le Front commun syndical des employés de l'État distinguent deux catégories d'augmentations de salaire. D'abord, les «paramètres salariaux généraux» - PSG ou politique salariale gouvernementale, dans le jargon administratif - seraient fixés à 3% (1% pour chacune des trois prochaines années). Puis, les autres augmentations salariales consenties aux syndiqués du Front commun (2,25%) seraient décrites comme étant la contrepartie de concessions faites sur la retraite. L'objectif était que ces autres augmentations échappent à tous ceux qui détiennent des clauses remorques, puisque celles-ci donnent droit strictement à ce que l'on appelle les «paramètres salariaux généraux». L'astuce de M. Coiteux était considérée comme inédite.

Le Front commun syndical s'y est opposé farouchement. Distinguer différentes catégories d'augmentations dans les textes finaux ne remettait aucunement en question les gains salariaux obtenus par les employés de l'État. Mais les centrales syndicales représentent d'autres travailleurs qui, sans faire partie du Front commun, ont une clause de parité salariale avec le secteur public. Elles refusaient de signer une entente qui pénaliserait une partie de leurs membres. Ironiquement, leur bataille allait profiter aussi aux médecins, dont elles avaient dénoncé la croissance fulgurante de la rémunération.

Le Front commun a ainsi menacé de ne pas signer l'entente si le Conseil du trésor maintenait sa position. Le gouvernement a finalement reculé, a-t-on appris de sources sûres.

Lors du huis clos du budget Leitao, jeudi, le Trésor a signalé à La Presse que le gouvernement propose maintenant au Front commun des textes finaux définissant des paramètres salariaux généraux à 5,25% et non plus à 3%: 1,5% cette année, 1,75% en 2017-2018 et 2% en 2018-2019.

Vendredi, Sam Hamad a refusé de confirmer cette information. «Ils sont en train de discuter et d'écrire les textes. Il y a une négociation qui continue. Je ne peux pas vous en dire plus», s'est-il contenté de répondre lors d'un bref entretien. Or, La Presse a pris connaissance des textes finaux soumis par le Trésor à la table de négociation. Une source syndicale a également confirmé le recul du gouvernement.

Une affaire de gros sous

Cet enjeu est une affaire de gros sous. Les dépenses du gouvernement pour payer les clauses remorques sont beaucoup plus élevées avec des paramètres salariaux généraux à 5,25% plutôt qu'à 3%. Seulement pour les 20 000 médecins omnipraticiens et spécialistes, on parle de 368 millions de dollars par année au lieu de 210 millions. Pour donner une idée de l'importance de la clause remorque des médecins : son coût est trois fois plus élevé que le réinvestissement dans les écoles primaires et secondaires prévu au budget Leitao (109 millions).

Cette clause remorque fait partie d'un accord conclu entre Québec et les fédérations médicales à l'automne 2014. On y lit que le gouvernement devra «accorder minimalement aux médecins omnipraticiens et spécialistes les augmentations salariales qui seront consenties au personnel des secteurs public et parapublic» à compter de 2015. Cette clause de parité salariale s'ajoute aux hausses de rémunération déjà consenties aux médecins et qui sont étalées jusqu'en 2021 en vertu du même accord.

L'astuce de M. Coiteux visant à limiter la portée de la clause remorque à 3 % avait été dénoncée par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). Plus de 150 millions risquaient de leur glisser entre les doigts. «Ça pourrait ressembler à travestir le contenu de l'entente», disait la FMOQ.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, s'était dissocié publiquement de la stratégie de son collègue Martin Coiteux. C'était la veille du remaniement qui a amené un changement de garde au Trésor. «Je ne reviendrai pas sur ma signature», avait prévenu M. Barrette.

Québec doit négocier de nouvelles ententes de rémunération avec les médecins. Gaétan Barrette a déjà signalé qu'il n'a pas l'intention de leur accorder plus que ce à quoi donne droit la clause remorque.

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368 millions

Valeur approximative de la clause remorque des 20 000 médecins. C'est ce que représente 5,25% sur une masse salariale de 7 milliards.

Qui sont les 50 000 travailleurs ayant une clause remorque?

- 15 000 responsables de service de garde en milieu familial

- 8000 personnes hébergeant des handicapés (les ressources intermédiaires et de type familial, comme on le dit dans le jargon administratif)

- Des employés d'universités

- Des employés des écoles privées subventionnées