Une étude publiée lundi par des chercheurs montréalais qui associe la prise d'antidépresseurs par une femme enceinte à un risque accru que son enfant soit atteint d'autisme a semé l'inquiétude chez de nombreuses patientes de l'hôpital Sainte-Justine. Or, ces femmes ne courent pas nécessairement 87% plus de risque de mettre au monde un enfant autiste, soutiennent des expertes.

«Je faisais ma clinique de grossesse à risque aujourd'hui et une cliente m'a avoué avoir lu ça et s'être mise à pleurer et se sentir coupable. Elle a arrêté lundi matin ses médicaments après l'avoir lu», s'inquiète Dre Louise Duperron, chef du département d'obstétrique-gynécologie du CHU Sainte-Justine, en entrevue avec La Presse dans l'établissement hospitalier.

Les infirmières de son service ont dû répondre à plusieurs appels de femmes enceintes inquiètes cette semaine, raconte-t-elle. Ce vent de panique au sein d'une «clientèle très fragile» la préoccupe au plus haut point. «Ce n'est surtout pas une raison d'avorter!», martèle la professeure adjointe à la faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Il est également crucial que les femmes enceintes inquiètes ne cessent pas leur traitement sans avertir leur médecin, renchérissent Ema Ferreira, vice-doyenne aux études de premier cycle à la faculté de pharmacie de l'Université de Montréal, et la pharmacienne Brigitte Martin, assises à la même table. «[En général], c'est au moins la moitié des femmes qui arrêtent en apprenant qu'elles sont enceintes», déplore Mme Martin.

Cette étude publiée dans le Journal of the American Medical Association se base sur une cohorte de 145 456 enfants québécois nés entre 1998 et 2009. Les chercheurs ont découvert que 0,7% des enfants de cette population générale étaient atteints d'un trouble du spectre de l'autisme (TSA), contre 1,2% des enfants nés de femmes traitées avec des antidépresseurs pendant les 2e et 3e trimestres de leur grossesse. Cela représente 31 enfants autistes sur 2532 enfants nés dans ces circonstances. Cette proportion augmente toutefois à 1,87 en tenant compte du rapport de risque (hazard ratio). Or, la prévalence des TSA est d'environ 1% selon la communauté scientifique.

Pas de lien causal démontré

Brigitte Martin, responsable du Centre IMAGe, un centre d'information qui étudie les risques liés aux médicaments durant la grossesse, reconnaît qu'il existe un rapport entre la prise d'antidépresseurs et la possibilité d'avoir un enfant autiste. Or, aucune étude n'est encore venue démontrer l'existence d'un lien causal entre ces deux variables. «Qu'est-ce qui fait augmenter ce risque-là? Ici, les chercheurs proposent que ce soit les antidépresseurs. C'est possible, mais c'est très difficile à déterminer avec ces données-là. Mais c'est possible, il ne faut pas écarter cette possibilité. Mais c'est possible aussi qu'il y ait d'autres facteurs et que ce soit un mélange», explique-t-elle.

Selon l'experte, les résultats obtenus ne peuvent pas nécessairement s'appliquer à l'ensemble des Québécoises puisque les 4724 femmes de l'étude traitées par des antidépresseurs durant leur grossesse sont forcément différentes de la population générale. «Pourquoi? Parce qu'elles prennent des antidépresseurs. Mais pourquoi elles prennent des antidépresseurs? Parce qu'elles ont une pathologie sous-jacente. Si vous prenez le tableau qui compare les deux populations, elles sont très différentes en termes de tabagisme, de l'âge maternel et du niveau d'école complété. De prendre des antidépresseurs, c'est une de ces différences-là.»

Selon Brigitte Martin, Ema Ferreira et les deux autres signataires d'une «mise en contexte» publiée hier sur le site web du CHU Sainte-Justine, les chercheurs ont ajusté leurs données pour plusieurs variables, mais pas pour d'autres comme le tabagisme et la prise d'autres médicaments. Ils ont aussi fourni bien peu de données sur les variables génétiques. «Il se peut que les associations trouvées soient le fruit du hasard», soutiennent-ils. Les autres signataires sont Josianne Malo, pharmacienne au Centre IMAGe, et le pédopsychiatre Martin St-André, professeur agrégé de clinique à l'Université de Montréal et au CHU Sainte-Justine et responsable de la Clinique de psychiatrie périnatale et du jeune enfant.

Sollicitée par La Presse hier, une des auteures de l'étude, la Dre Anick Bérard, n'a pas accordé d'entrevue.