Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, vient discrètement de franchir ce qu'il considère comme le «pas final» vers la mise en oeuvre du Dossier santé Québec (DSQ), un vaste projet informatique qui a connu une évolution pour le moins chaotique et dont l'aboutissement est attendu depuis 25 ans dans la province, a appris La Presse.

Sans tambour ni trompette, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a décidé de confier la conception des dossiers cliniques informatisés des patients québécois, dont le coût est évalué à un peu plus 700 millions, à un seul fournisseur, Cristal-Net, a appris La Presse

Pour le ministre, il s'agit du «pas final» vers l'achèvement du Dossier santé Québec (DSQ), soit la banque de données qui permettra à terme aux professionnels de la santé d'avoir accès en temps réel et partout dans la province à plusieurs informations cruciales sur leurs patients.

Le dossier clinique informatisé (DCI) est l'équivalent du dossier papier des patients, mais en version électronique. Depuis plus de 10 ans, différents établissements de santé de la province ont développé des projets de DCI. Si bien qu'aujourd'hui, cinq logiciels distincts coexistent sur le territoire.

La création de ces DCI a coûté plusieurs dizaines de millions de dollars au réseau. À Montréal, le déploiement du DCI a coûté 132 millions. Au Saguenay, 34 millions. À Québec, 20 millions.

Mais dernièrement, le ministre Barrette a décidé d'imposer le logiciel Cristal-Net à tout le réseau de la santé. Ce logiciel a été conçu par le CHUQ (aujourd'hui CHU de Québec-Université Laval) conjointement avec des hôpitaux français.

«C'est une question d'uniformisation. En gestion, c'est essentiel d'avoir une base de données uniforme. On pourra faire des analyses approfondies des données», a expliqué le ministre à La Presse.

Pour éviter de payer des millions de dollars en rupture de contrat dans les régions où d'autres DCI sont déjà implantés, le ministre laissera ces contrats arriver à échéance, ce qui devrait prendre «trois ou quatre ans». Chaque région devra ensuite migrer vers le DCI Cristal-Net.

Le ministre assure que les sommes importantes investies dans chaque région pour développer différents DCI ne sont pas perdues. «Ces produits auront eu une durée de vie et été utiles. Dans ces régions, la numérisation des données sera déjà complétée. Il suffira de migrer vers Cristal-Net, ce qui ne sera pas si difficile», dit-il. Le ministre estime d'ailleurs que le personnel du réseau sera tout à fait apte à changer de logiciel sans que des coûts majeurs y soient associés.

Pourquoi?

Pourquoi avoir choisi Cristal-Net et non pas une autre solution? Principalement parce que Cristal-Net est un gratuiciel. «La grosse partie des coûts en technologies de l'information provient de l'achat de licences et de l'évolution du produit. Avec Cristal-Net, on est propriétaires. On peut contrôler le coût de son évolution. Les mises à jour qui coûtent les yeux de la tête, c'est fini», dit le ministre.

Professeur titulaire au département d'administration de la santé de l'Université de Montréal, Claude Sicotte confirme que Cristal-Net est le seul gratuiciel offert et qu'adopter un seul DCI dans la province «peut offrir des opportunités intéressantes, notamment des économies d'échelle».

M. Sicotte affirme toutefois qu'il faut s'assurer que le produit est de qualité. «Et je ne peux pas me prononcer sur cette question», dit-il. M. Sicotte explique que le marché des DCI est encore «immature» et qu'il est difficile pour l'instant de savoir quelle est la meilleure solution.

Le ministre assure quant à lui que Cristal-Net a été évalué par des firmes indépendantes et qu'il est «comparable à ce qui se fait de mieux sur le marché».

Pour M. Barrette, cette décision permettra de réaliser d'importantes économies. «S'il y a des changements à apporter, on n'aura pas à payer des centaines de milliers de dollars pour les faire, dit-il. On a les compétences en programmation pour faire évoluer le DCI.»

Plusieurs intervenants joints par La Presse n'ont pas voulu commenter la situation, hier, plaidant ne pas être au courant de la décision, dont le Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval, le Centre hospitalier de l'Université de Sherbrooke et le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM). 

La porte-parole de Telus, Jacinthe Beaulieu, a dit ne «pas être au courant de cette annonce/décision». «Alors, il est difficile pour nous de commenter», a-t-elle dit.

Histoire d'une informatisation chaotique

1990: Québec envisage d'informatiser le dossier médical des patients à l'aide de cartes à puce où seraient consignés les renseignements médicaux de chacun. Au moins deux projets pilotes sont lancés au cours des années suivantes.

2000: Le ministre Michel Clair recommande l'implantation de la carte à puce.

2002: Le projet de carte à puce est abandonné.

2006: Lancement du projet de Dossier santé Québec (DSQ), une «banque de données» accessible partout au Québec et contenant des informations cliniques sur les patients dont la médication, les résultats de laboratoire et d'imagerie. Le tout doit se terminer en 2010 et coûter 563 millions.

2008 à 2010: Le Vérificateur général du Québec publie une série de rapports qui soulèvent de sérieuses questions sur la gestion du DSQ et l'informatisation du réseau de la santé. Les échéanciers et les budgets sont notamment jugés irréalistes.

2011: Le vérificateur général estime que le DSQ est un «échec». Québec décide de rapatrier la gestion du DSQ et de tous les dossiers cliniques informatisés (DCI) dans son giron. Le nouvel échéancier est fixé à 2016.

2014: Le ministre Gaétan Barrette annonce que le DSQ sera déployé entièrement en 2016 et que le réseau sera informatisé en entier en 2021 pour 1,6 milliard. En tout, le DSQ devrait coûter 563 millions et le reste de l'informatisation, dont le développement des DCI, un peu plus de 700 millions.

Photo: Archives Reuters