Des capsules de café au cannabis compatibles avec les machines Keurig, des cigarettes électroniques pour décoller en vapotant, de l'huile de marijuana vendue avec des kits de biscuits à préparer à la maison. Alors que la légalisation se prépare à Ottawa, l'industrie canadienne du cannabis à des fins médicales passe à la 2e vitesse.

L'usine est gigantesque. Pendant plus de 45 ans, on y a produit des boîtes de Glosette et de Cherry Blossom. Maintenant, c'est le cannabis qui y fleurit. 

« Nous sommes dans une ancienne usine de chocolats. Tôt ou tard, nous allons bien recommencer à en produire », lance avec un sourire Mark Zekulin, 35 ans et jeune PDG de Tweed, une filiale du plus grand producteur de marijuana médicale au Canada.

L'entreprise, capitalisée en bourse à hauteur de 257 millions, fait partie d'un petit groupe qui sera autorisé, dans les semaines à venir, à commercialiser de l'huile de cannabis. Les flacons sont déjà prêts, emballés et étiquetés. « On attend juste le feu vert de Santé Canada pour les distribuer », dit-il.

Un changement qui n'a rien de banal. Jusqu'à maintenant, les 26 producteurs de marijuana à des fins médicales autorisés au Canada ne pouvaient vendre que de la marijuana séchée. Mais une décision rendue par la Cour suprême cet été a changé la donne.

L'arrivée de l'huile de cannabis, qui peut contenir dans une cuillère à thé l'équivalent d'un gramme de marijuana, ouvre la porte à un marché extrêmement vaste de produits transformés aux effets psychotropes. 

« Si vous prenez cette huile, vous pouvez la transformer en brownies, bonbons, jujubes, boissons gazeuses, peu importe », dit Mark Zekulin.

Dans l'État de Washington, où la vente de cannabis est licite depuis juin 2014, ces produits transformés représentent maintenant jusqu'à 40 % des ventes. Et la demande est en forte croissance.

Les producteurs canadiens autorisés avec qui La Presse s'est entretenue ne le cachent pas : les produits à base d'huile de cannabis revêtent un immense intérêt en vue d'une légalisation de la consommation récréative par le gouvernement Trudeau.

Pour l'heure, seule l'huile libre pourra être vendue en flacons au Canada. Toute transformation sera interdite. Mais CannTrust, un important acteur de l'industrie du cannabis à des fins médicales, a déposé une demande à Santé Canada pour être autorisé à commercialiser des capsules de café contenant du cannabis. « C'est une forme de lobbying pour forcer Santé Canada à accepter les produits transformés », croit Adam Greenblatt, cofondateur de la clinique Santé Cannabis, à Montréal.

À Montréal, La Presse a aussi constaté qu'on peut assez facilement trouver des cigarettes électroniques au pot, dont le liquide est fait à base d'huile de cannabis, l'ingrédient de base d'à peu près tous les produits transformés.

Hydropothicaire, seul fournisseur de cannabis à des fins médicales autorisé au Québec, attend aussi le feu vert pour distribuer de l'huile. Le cofondateur de l'entreprise, Sébastien St-Louis, souhaite la vendre sous forme de capsules. « Vendre le cannabis sous forme d'huile, ça rend le produit beaucoup plus accessible », dit-il.

« L'industrie arrive avec énormément d'innovations, affirme le fondateur du Bloc Pot et militant Marc-Boris St-Maurice. Il y a des bonbons au THC, des boissons, des sucres à café, de petits sachets qu'on met dans un verre d'eau. Au Centre Compassion, on nous les a tous proposés. »

Prête à grossir 10 fois, Tweed entend pour sa part commercialiser son huile avec des kits de recettes que ses clients pourront préparer à la maison. « Nous avons une sorte de biscuits dont certains de nos employés étaient particulièrement friands », lance Mark Zekulin, qui refuse cependant d'en dire davantage. « L'huile, pour nous, est une grande occasion de croissance, ça nous ouvre de nouvelles portes, parce qu'il y a beaucoup moins de stigmatisation avec ce produit qu'avec le cannabis qu'on fume. Les médecins sont moins réticents [à prescrire de la marijuana]. Il y a beaucoup plus de chances que ma grand-mère ou ma mère soient intéressées par un produit à base d'huile de cannabis », lance-t-il.

Parallèlement, son entreprise se prépare activement à la légalisation du cannabis à des fins récréatives promise par Justin Trudeau. Canopy Growth, la société mère de Tweed, dispose de trois usines autorisées à produire du cannabis, qui totalisent 568 000 pieds carrés de surface cultivable. « Nous utilisons actuellement 10 % de notre capacité », précise M. Zekulin.

PHOTO SIMON GIROUX, LA PRESSE

Tweed estime qu'elle pourrait ajouter 18 serres à son usine de Smiths Falls, qui en compte 12 actuellement, en prévision de la légalisation de la consommation récréative par le gouvernement Trudeau.

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Seule l’huile libre pourra être vendue en flacons au Canada, mais les producteurs de cannabis espèrent pouvoir commercialiser des produits issus de la transformation. 

Au Québec, Hydropothicaire, qui cultive actuellement son cannabis à des fins médicales dans un espace de 45 000 pieds carrés, s'attend à ce que la production actuelle soit multipliée par huit avec la légalisation de la marijuana récréative.

« Ce n'est pas un secret, tout le monde sait dans l'industrie que les producteurs médicaux autorisés se préparent à la légalisation. Tout le monde est prêt à voir une croissance importante de la demande », indique Adam Greenblatt.

Signe de l'évolution rapide du marché, Tweed a récemment lancé Better by Tweed, une chaîne de trois magasins à Guelph, Etobicoke et Hamilton, qu'elle compte à terme utiliser comme salles d'exposition pour ses produits de cannabis, quand la loi le permettra. « C'est sûr que les patients, et plus tard nos clients "récréatifs", veulent voir, sentir et toucher nos produits avant d'acheter », explique M. Zekulin. Pour le moment, Tweed n'y donne que des conseils aux personnes curieuses d'en savoir plus sur le cannabis médical. Mais on y promet aussi une « expérience client » inégalée pour quiconque s'intéresse aux produits de Tweed.