Au moins cinq patients souffrant de troubles mentaux sont morts l'an dernier au Québec parce qu'ils sont carrément passés entre les mailles du système de santé. Deux ont obtenu leur congé de l'hôpital trop tôt, trois ont échappé à la surveillance du personnel médical. L'un d'eux est mort de froid.

De mars à novembre 2014, quatre malades soignés dans des établissements de santé d'un peu partout dans la province se sont suicidés après avoir lancé des appels à l'aide clairs. Un cinquième est mort d'hypothermie alors qu'il avait fugué de l'hôpital, révèlent des rapports de coroner récents dont La Presse a obtenu copie.

Les défunts, tous des hommes, étaient âgés de 44 à 75 ans. Ils étaient atteints de troubles mentaux. Dans chaque cas, les coroners qui ont enquêté sur leur mort ont remis en question la qualité des soins reçus par les patients et ont demandé que chacun des établissements enquête sur les circonstances des drames ou revoient carrément ses façons de faire.

«Cinq, c'est énorme», réagit la directrice de la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FFAPAMM), Hélène Fradet, elle-même diplômée en psychologie. Selon elle, la santé mentale vit un «problème chronique» de manque de ressources. 

La présidente de l'Association des médecins psychiatres du Québec, la Dre Karine J. Igartua, est du même avis. «Si rien ne change, dit-elle, d'autres malades passeront entre les mailles du filet.»

Une situation qui, dans un contexte d'austérité budgétaire et de compressions dans le réseau de la santé, ne peut que s'aggraver, craignent les intervenants du milieu.

La Dre Igartua dénonce notamment la vétusté des installations dans de nombreux départements de psychiatrie.

«Les ailes psychiatriques sont les dernières à être rénovées», dit celle qui pratique au Centre universitaire de santé McGill. «Notre hôpital vient d'être rénové, mais avant, on avait un patient qui se sauvait toutes les deux semaines. On n'était tout simplement pas équipés.»

Elle déplore aussi un manque de lits dans les hôpitaux pour prendre en charge tous ceux qui en ont besoin.

«Il manque d'hébergement», dit la spécialiste. Elle cite le cas d'un malade qui est à l'hôpital depuis plus de 500 jours parce qu'il attend une place dans un centre d'hébergement de soins de longue durée qui ne se libère jamais. Difficile, donc, de trouver de l'espace où loger les nouveaux patients qui se présentent à l'urgence. 

Et une fois sortis, déplore Hélène Fradet, les malades se retrouvent souvent laissés à eux-mêmes. «Les femmes qui viennent d'accoucher reçoivent toutes la visite d'une infirmière dans les jours suivants, et c'est très bien. Pourquoi est-ce que ça n'existe pas en santé mentale?»

La Dre Igartua abonde en ce sens. «Une fois que les gens sortent, on leur offre quoi? Ce n'est pas vrai qu'ils sont complètement rétablis. Ils devraient pouvoir voir un intervenant dans la semaine, mais il n'y a pas de place.»

Austérité

Alors que les médecins réclament de l'aide, ils subissent plutôt des coupes. Selon une compilation de l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques, c'est en santé mentale que les contrecoups des compressions budgétaires seront les plus durs dans plusieurs hôpitaux et centres de santé qui devront abolir des postes de professionnels comme des psychologues ou des ergothérapeutes et des postes d'infirmières dans ce secteur.

Cet été, une maison de transition pouvant héberger jusqu'à sept patients souffrant de troubles de santé mentale a annoncé qu'elle fermerait ses portes dans les Laurentides. Une conséquence directe des mesures d'austérité, selon le syndicat local.

«Il n'y a pas lieu de faire de parallèle entre [les cinq morts de l'an dernier] et la situation budgétaire dans le réseau de la santé, étant donné que les explications du coroner dans ces rapports respectifs ne relatent pas ces informations», prévient toutefois la porte-parole du ministère de la Santé, Noémie Vanheuverzwijn. Les rapports ne traitent effectivement pas des effets des compressions budgétaires.

Des familles compréhensives

En entrevue avec La Presse, les familles de deux défunts n'ont pas voulu jeter la pierre au personnel des établissements fautifs.

«Notre fils, ça faisait des années qu'il avait des problèmes. Il a eu tellement de mains tendues. Tellement de gens ont voulu l'aider. Je ne trouve pas ça correct, ce qui est arrivé à l'hôpital, mais je ne peux pas en faire un cas», confie André Guay, père de François Guay, qui s'est fait renvoyer chez lui par un psychiatre de l'urgence de l'hôpital de la Cité-de-la-Santé.

Le frère d'un autre défunt, Mario Plante, mort noyé à Lac-Etchemin alors qu'il n'aurait pas dû sortir de son CHSLD, croit que son frère aurait de toute manière fini par trouver un moyen de s'enlever la vie. «Les employés se sont occupés de lui pendant 20 ans. Je ne veux pas les blâmer.»

CINQ CAS TRAGIQUES

HÔPITAL DE LA CITÉ-DE-LA-SANTÉ DE LAVAL, octobre 2014

Ce matin-là, François Guay, 44 ans, avait tenu des propos inquiétants à l'intervenant d'un centre de prévention du suicide. Des policiers alertés l'ont emmené à l'hôpital de la Cité-de-la-Santé. Ce n'était pas la première fois qu'il y allait. Il avait été gardé en observation toute une nuit quelques semaines plus tôt. À son arrivée à l'urgence, il pleurait. Le médecin a demandé une consultation en psychiatrie. Dans le dossier, il écrit «idée suicidaire avec plan». Malgré tout, le psychiatre lui a donné son congé, l'orientant plutôt vers un organisme pour les personnes ayant une dépendance à l'alcool et autres substances, ce dont il souffrait. Il est rentré chez lui. Le coroner soulève plusieurs questions sur la qualité des soins offerts au disparu. Pourquoi n'a-t-il pas été gardé pour la nuit? Suffisait-il de l'orienter vers un organisme qu'il ne semblait pas souhaiter contacter?

HÔPITAL DU SACRÉ-COEUR, septembre 2014

Un homme de 77 ans s'est noyé dans la rivière des Prairies. Il était hébergé depuis deux mois au pavillon de psychiatrie de l'hôpital du Sacré-Coeur pour soigner un trouble schizo-affectif bipolaire. «L'équipe médicale estimait en effet que son trouble mental semblait en voie de se compenser», dit le rapport du coroner. «Il apparaît pour le moins étonnant que dans un établissement dédié au traitement des maladies mentales, un patient quitte l'hôpital par l'entrée principale et trouve le moyen, de se rendre à la rivière et de s'y noyer», conclut le coroner.

CSSS DES ETCHEMINS, mai 2014

Mario Plante vivait dans un CHSLD de Lac-Etchemin depuis 20 ans. Il avait 52 ans. Il était quadriplégique. Au cours des mois qui ont précédé sa mort, son état de santé s'était détérioré. Il avalait avec difficulté et s'étouffait souvent. Il était possible qu'il doive déménager, ce à quoi il s'opposait. «Sa condition psychologique était inquiétante. Il présentait des ruminations suicidaires et un refus de manger, il pointait le ciel», raconte le coroner. Le jour de sa mort, il est sorti se promener deux fois plutôt qu'une. Une employée l'a aperçu dehors. Il s'est jeté dans l'eau avant qu'on ne le retrouve. 

CSSS DE LA SARRE, mars 2014

Trois semaines avant sa mort, Marc Gibouleau, 75 ans, avait été conduit à l'hôpital en ambulance. Deux semaines plus tard, il était de retour. Le matin où il a reçu son congé, un médecin a noté à son dossier: «Ne répond pas à mes questions et ne semble pas comprendre mes explications. Tient à rester hospitalisé absolument. [...] Congé sous peu probable, car aucune condition médicale qui justifie de garder ce patient à l'unité de court séjour.» On lui a prescrit un antidépresseur. Quelques jours plus tard, il a avalé 66 comprimés de trois médicaments différents. Il est mort à l'hôpital.

CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE SHERBROOKE, novembre 2014

Un homme de 69 ans est mort d'hypothermie en novembre 2014 après avoir fait une fugue du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, où il était hospitalisé en psychiatrie. Le rapport du coroner sur son décès n'ayant pas été rendu public pour le moment, peu d'informations sont disponibles sur les circonstances de sa mort. Le coroner a recommandé à l'hôpital de mettre en place les mesures appropriées pour éviter la fugue de patients vulnérables.