Parce qu'il a donné intempestivement un congé à une patiente de 59 ans en détresse respiratoire, le Dr Jérôme Dufour a été radié pour cinq mois. Cette patiente est morte en 2012, trois heures après avoir été autorisée à quitter les urgences de l'hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval. Dans le jugement du conseil de discipline du Collège des médecins, diffusé hier, le Dr Dufour reconnaît ses torts, mais témoigne de la lourdeur de sa tâche le soir des évènements, alors qu'il devait s'occuper de près d'une centaine de patients.

Dans la soirée du 10 au 11 mars 2012, une patiente s'est présentée aux urgences pour des problèmes respiratoires. La dame, qui souffrait notamment d'une maladie pulmonaire obstructive chronique, avait de la difficulté à respirer.

Durant son passage aux urgences, la patiente est allée fumer aux toilettes. Un peu plus tard, le Dr Dufour a inscrit à son dossier: «Est allée fumer aux toilettes... Congé.» Trois heures plus tard, la dame mourait d'une bronchopneumonie multilobaire chez elle.

Reconnaissance de culpabilité

Le Dr Dufour a reconnu sa culpabilité aux trois chefs d'accusation qui pesaient sur lui, dont celui de ne pas avoir assuré le suivi médical de cette patiente et de lui avoir donné congé de façon intempestive.

Mais dans son jugement, le conseil de discipline a tenu à présenter des extraits de l'énoncé des faits préparé par le Dr Dufour. «Les explications qui suivent ne visent aucunement à minimiser ma faute déontologique, mais à porter à l'attention du Conseil certains faits», est-il écrit dans l'énoncé du Dr Dufour.

Le soir du 10 au 11 mars, le Dr Dufour précise qu'il était seul de garde aux urgences de la Cité-de-la-Santé. «Pendant cette nuit [...] 31 patients se sont présentés à l'urgence et 12 ambulances ont été accueillies, sans compter les patients qui étaient déjà à l'urgence pendant la journée ou la soirée du 10 mars 2012 et qui n'avaient pas encore été évalués. De plus, entre 50 et 54 patients étaient couchés sur civière [...]».

La faute «s'explique, sans se justifier déontologiquement, par le fait que je ressentais une urgence de prendre des décisions rapides afin de m'occuper de tous les patients sous ma charge. J'ai ainsi accordé précipitamment le congé demandé par Mme...», estime le Dr Dufour.

En dépression

Dans les mois qui ont suivi les évènements, le Dr Dufour a reçu un diagnostic de dépression majeure. C'est alors qu'il a réalisé qu'il «ne voulait plus travailler dans un contexte de surcharge excessive de travail».

Le Dr Dufour a cessé de pratiquer dans les salles d'urgence et voit aujourd'hui des patients dans une clinique.

Se disant aux prises avec des «regrets», le Dr Dufour a suggéré lui-même que lui soit imposée une radiation de cinq mois pour un chef et de trois mois pour un autre. Soulignant qu'il est «remarquable» qu'une suggestion si «sévère» provienne de l'intimé lui-même, le conseil de discipline a imposé ces sanctions, tout en soulignant que les gestes reprochés sont «graves» et que le médecin avait l'obligation de «consacrer toute l'énergie nécessaire à cette patiente qui dépendait de lui alors qu'elle était vulnérable».

Le Dr Dufour n'a pas voulu commenter la situation, hier. La porte-parole du centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Laval, Doris Prince, assure quant à elle qu'il y a toujours deux médecins de garde la nuit aux urgences de la Cité-de-la-Santé, et ce, depuis des années.

Dans l'énoncé de faits du Dr Dufour, il est écrit qu'habituellement, deux médecins étaient de garde la nuit. Mais qu'un seul assumait cette responsabilité dans la nuit du samedi au dimanche, comme ce fut le cas lors des tristes évènements en question. «La situation qui prévalait lors de la nuit où un seul médecin assumait la garde était particulièrement difficile, et a été longtemps décriée par mes collègues et moi», est-il écrit.

Mme Prince n'a pas été en mesure de confirmer la situation qui avait cours dans la nuit du 10 au 11 mars 2012. «Mais je peux vous dire que deux médecins sont présents en tout temps la nuit. Un médecin s'occupe des patients ambulatoires et l'autre s'occupe des patients qui sont sur civières», dit-elle.

Le président de l'Association des médecins d'urgence du Québec, le Dr Bernard Mathieu, affirme que dans un établissement de la taille de la Cité-de-la-Santé, il y a normalement deux médecins de garde la nuit aux urgences. «Il y a 15 ans, quand il y avait pénurie de médecins aux urgences, on pouvait être seul de garde. Mais plus maintenant», dit-il. Ce dernier précise que la présence de deux médecins aux urgences la nuit est souhaitable dans les grands établissements, à la fois pour les patients et les médecins. «Trop de pression diminue la qualité de notre travail», affirme-t-il.