À quelques semaines du début des consultations publiques sur le projet de loi 44 visant à renforcer la lutte contre le tabagisme, Imperial Tobacco invite le gouvernement à ne pas se lancer dans une réglementation sévère et déraisonnable. La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac estime plutôt que la cigarette ne devrait pas être en vente libre. Tour d'horizon de la nouvelle loi avec deux protagonistes, Éric Gagnon d'Imperial Tobacco et la Dre Geneviève Bois de la Coalition, aux visions opposées.

Le menthol

Parmi les nouvelles mesures prévues dans le projet de loi 44, toutes les saveurs de tabac seront interdites, incluant le menthol. D'entrée de jeu, Éric Gagnon précise qu'il ne fume pas. Et qu'il ne souhaite pas que ses enfants fument. Mais il ajoute qu'aucune étude ne vient prouver que les jeunes commencent à fumer à cause du menthol. «La cause première de l'initiation au tabac, c'est l'influence des pairs. C'est en prévention qu'il faut agir», dit-il. M. Gagnon souligne que 5% des fumeurs adultes consomment des cigarettes mentholées et que le gouvernement retire 35 millions en taxes par année avec ces produits. «Pourquoi le bannir?» demande le directeur des affaires réglementaires et gouvernementales d'Imperial Tobbacco.

La Dre Geneviève Bois, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, répond que «30% des jeunes consomment la cigarette mentholée, contre 5% des adultes». «La différence est énorme. Les autorités médicales ne traitent pas le menthol de façon différente des autres saveurs et recommandent unanimement de l'interdire», dit-elle.

La contrebande

M. Gagnon signale que plus la réglementation entourant l'industrie légale du tabac est sévère, plus les risques de contrebande augmentent. Un phénomène qui coûte entre 200 et 300 millions par année au gouvernement en perte de taxes.

La Dre Bois affirme que cela est complètement faux. «Au cours des dernières années, le gouvernement a caché les paquets de cigarettes dans les dépanneurs et a augmenté les taxes, mais la contrebande a diminué», dit-elle.

M. Gagnon reconnaît que le taux de contrebande est passé de 40% en 2009-2010 à environ 15% aujourd'hui. «Mais cette baisse est due à différentes actions du gouvernement, dont le fait de donner plus de pouvoir aux municipalités», dit-il.

L'emballage neutre

La nouvelle loi ne prévoit pas d'imposer l'emballage neutre sur les paquets de cigarettes. Mais Québec n'écarte pas l'idée d'adopter un règlement en ce sens. M. Gagnon ne le souhaite pas. Déjà, 75% de la surface des paquets de cigarettes doit porter un message de santé publique au Québec. «Aucune étude ne montre que les jeunes commencent à fumer à cause de l'emballage. Et en faisant passer les messages de prévention à 100% du paquet, est-ce que les gens seraient réellement plus sensibilisés?» M. Gagnon indique qu'en Australie, où l'emballage neutre a été adopté, le tabagisme a augmenté chez les jeunes et n'a pas connu de diminution générale accélérée, alors que la contrebande a augmenté.

La Dre Bois riposte que le taux de prévalence du tabagisme est passé de 15,1% à 12,8% en Australie avec l'emballage neutre, soit «deux fois plus que la chute annuelle moyenne». «C'est un succès. Et il n'y a pas eu d'impact sur la contrebande», assure-t-elle.

La qualité des produits

M. Gagnon affirme que les 18% de Québécois adultes qui choisissent de fumer doivent avoir accès à des produits de qualité, dans un marché réglementé. «Des gens vont toujours continuer de fumer. Le Québec récolte 1 milliard de taxes par année avec ces produits. Il faut réfléchir avant d'adopter une réglementation trop sévère qui n'aura pas nécessairement les effets escomptés, dit-il. D'autant plus que nous sommes déjà soumis à plus de 200 règlements.»

La Dre Blois expose plutôt que «les coûts de santé directs du tabagisme sont évalués à 1,6 milliard par année. Médicalement, aucun produit du tabac n'est bon pour la santé, plaide-t-elle. On sait que l'âge moyen d'initiation au tabac est de 13,3 ans. Il faut agir», dit-elle.

La cigarette électronique

Le projet de loi 44 prévoit de traiter la cigarette électronique comme un produit du tabac. Imperial Tobacco, qui exploite un modèle de cigarette électronique, mais uniquement en Angleterre, estime que ce produit «devrait être réglementé différemment des autres produits du tabac». Notamment parce que les cigarettes électroniques ne contiennent pas de tabac et peuvent aider les gens qui tentent d'arrêter de fumer. «On peut adopter une réglementation pour interdire ce produit aux jeunes. Mais il ne faudrait pas se priver du potentiel des cigarettes électroniques», dit M. Gagnon.

La Dr Bois croit pour sa part que si l'industrie du tabac est si réfractaire à la réglementation des cigarettes électroniques, c'est tout simplement pour pouvoir exploiter un jour ce filon commercial. «La loi n'empêchera pas les fumeurs qui le désirent d'avoir accès à la cigarette électronique», dit-elle.

«Non, mais si les deux produits sont aussi réglementés, les fumeurs qui veulent arrêter de fumer se tourneront vers la vraie cigarette plutôt que la version électronique», plaide M. Gagnon.

Consultations publiques sur le projet de loi 44

Quand? Du 18 août au 3 septembre

Qui sera entendu? Plus de 34 groupes provenant principalement du milieu médical et de l'industrie du tabac

Contexte: Cette consultation survient alors qu'un jugement a condamné au début du mois Imperial Tobacco, Rothmans Benson and Hedges et JTI-Macdonald à verser 15 milliards à des fumeurs et ex-fumeurs québécois atteints de cancers du poumon et de la gorge. Les cigarettiers ont appelé de la décision vendredi dernier. Québec poursuit également différentes sociétés de tabac pour 60 milliards pour les coûts dans le système de santé des cancers et des problèmes cardiaques causés par la cigarette.