Si Québec abandonne le programme de procréation assistée, comme prévu dans le projet de loi 20, plusieurs couples québécois se rendront dans l'une des dizaines de cliniques américaines offrant ces traitements le long de la frontière et dont certaines ne se gênent pas pour courtiser les patients de la province, craint l'Association des couples infertiles du Québec (ACIQ).

Déjà, un réseau de cliniques de la région de Boston enregistre une hausse du nombre de clients provenant du Québec, a constaté La Presse. «Depuis le dépôt du projet de loi 20, on voit une augmentation du nombre de patients québécois qui nous appellent pour se renseigner. On a reçu une quarantaine de demandes depuis janvier. On a aussi déjà réalisé 12 cycles de fécondation avec des patients canadiens. Tous sont québécois, sauf un. C'est plus que par le passé», explique la Dre Danielle Vitiello, directrice des Fertility Centers of New England.

Une dizaine d'autres cliniques de fertilité américaines offrent leurs services près de la frontière du Québec, révèle un recensement de l'ACIQ. Plusieurs ne se gênent pas pour courtiser les Québécois. Le Centre médical de l'Université du Vermont à Burlington offre des services en français et accorde un rabais de 30% aux patients canadiens, peut-on lire sur leur site internet. «L'établissement est situé à seulement 90 minutes de Montréal», peut-on y lire également.

Grossesses multiples

À la clinique Northeastern Reproductive Medicine, à Colchester, on précise que des services en français peuvent être offerts facilement. C'est le cas de plusieurs autres cliniques du New Hampshire, du Vermont et de l'État de New York. La quasi-totalité de ces établissements offrent également la possibilité de se faire implanter plusieurs embryons à la fois.

Afin de diminuer le taux de grossesses multiples, le Programme québécois de procréation assistée, en vigueur depuis 2010, ne permettait l'implantation que d'un embryon à la fois. Dans les trois années suivant l'adoption du programme, le nombre de grossesses multiples a diminué de 55% au Québec.

Avec son projet de loi 20, le gouvernement veut mettre fin à la gratuité du programme de procréation assistée. Les patients bénéficieront plutôt d'un crédit d'impôt. Les femmes de plus de 42 ans n'y seront plus admissibles et il sera toujours interdit d'implanter plus de deux embryons chez les patientes.

Si Québec délaisse son programme public de procréation assistée, la présidente de l'ACIQ, Virginie Kieffer, craint qu'un phénomène de «tourisme médical» ne s'instaure. «Pour ceux qui auront les moyens de payer des services aux États-Unis, ils pourront demander le transfert de plusieurs embryons, et ce sera le système de santé québécois qui devra couvrir les frais associés aux naissances multiples et aux prématurés, dit-elle. Je pense que la meilleure façon de lutter contre le tourisme médical et garantir la santé des mères et des enfants est de conserver la couverture publique de la FIV [fécondation in vitro], car il sera plus attrayant de recevoir des traitements ici que de l'autre côté de la frontière.»

Président de la Société canadienne de fertilité et d'andrologie, le Dr Neal Mahutte croit lui aussi que plus de Québécois se rendront à l'étranger pour recevoir des traitements si le projet de loi 20 est adopté tel quel. «Le projet de loi prévoit des remboursements pour un seul traitement chez les patientes de moins de 37 ans. Celles qui voudront plus iront ailleurs. Elles voudront également augmenter leur chance de succès en se faisant implanter plus d'un embryon à la fois et seront donc très tentées d'aller à l'extérieur du Québec», dit-il.

La Dre Vitiello croit elle aussi que les femmes de moins de 37 ans seront plus nombreuses à visiter ses cliniques américaines. «On reçoit déjà beaucoup de requêtes de cette clientèle», note-t-elle.

«Ce sera un peu absurde, parce que le nombre de grossesses multiples risque d'augmenter encore, prévoit le Dr Mahutte. J'espère que le gouvernement est en train de revoir sa loi.»

Au cabinet du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, on mentionne que «les discussions se poursuivent au sujet des amendements possibles au [projet de loi] 20, à la lumière de plusieurs informations qui nous ont été présentées lors des audiences de la commission parlementaire».

Les Québécois divisés

La moitié des Québécois sont en faveur du programme de procréation assistée, révèle un sondage CROP réalisé pour le compte de l'ACIQ.