Un conflit ouvert paraît désormais inévitable entre le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, et les 10 000 médecins spécialistes du Québec, qui exigent le retrait pur et simple du projet de loi 20.

«On ira jusqu'où on a besoin d'aller» pour défier le ministre Barrette et contester le projet de loi 20, voire devant les tribunaux s'il le faut, a commenté la présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), la Dre Diane Francoeur, en point de presse, après la présentation de son mémoire en commission parlementaire, mardi.

«Le respect, ça se gagne et ça se mérite», a-t-elle fait valoir, en parlant du ministre et de l'approche de «confrontation» qu'il privilégie dans ses relations avec ses anciens collègues.

Elle n'a pas voulu dire si les médecins spécialistes allaient ou non se soumettre à la loi, une fois qu'elle sera adoptée.

La consultation menée autour du projet de loi, un des trois piliers de la réforme de la santé pilotée par le ministre Barrette, a repris mardi matin avec la présentation du mémoire très attendu de la fédération.

Dans son mémoire d'une trentaine de pages rédigé sur le ton de l'ultimatum, la présidente de la fédération taille en pièces le projet de «loi matraque» du ministre Barrette, qu'elle juge inacceptable, tant dans sa forme que dans sa finalité.

La situation paraît d'autant plus délicate que la Dre Francoeur a succédé au Dr Barrette, il y a à peine un an, quand ce dernier a choisi de se lancer en politique, après plusieurs années à la tête de la fédération.

Elle accuse le ministre Barrette de chercher à entrer en conflit avec les médecins en leur imposant des normes coercitives «sans aucune justification».

Selon elle, le projet de loi ne règle d'aucune façon le problème d'accessibilité aux soins et celui du manque de ressources dans les hôpitaux. Au contraire, il ne cherche qu'à «obliger un chirurgien à travailler quand il n'a pas la possibilité d'opérer».

L'approche du ministre est qualifiée de «méprisante» et démotivante, les médecins étant traités selon elle comme des professionnels «paresseux» sous prétexte d'accroître leur productivité.

D'ailleurs, la Dre Francoeur remet en question les chiffres avancés par le ministre sur la faible productivité des médecins spécialistes. Contrairement à ce qu'il prétend, leur productivité globale s'est maintenue au fil des ans, selon elle.

La fédération estime que le ministre Barrette cherche à  profiter du problème réel d'accessibilité aux soins pour s'octroyer de nouveaux pouvoirs arbitraires, excessifs et abusifs.

Durant son témoignage, la Dre Francoeur a dit craindre que le ministre force l'adoption sous bâillon du projet de loi 20, comme il a fait avec le projet de loi 10.

«Le ministre doit renoncer à son projet de loi», a résumé la présidente de la FMSQ, estimant que le ministre ne cherchait qu'à «vendre du bonheur aux citoyens pour éventuellement récolter des votes».

Selon son analyse, la loi obligera les médecins spécialistes à délaisser certaines clientèles pour se conformer aux cibles décrétées par le ministre.

Elle juge irréaliste le voeu du ministre d'exiger qu'un plus grand nombre de consultations à l'urgence soient effectuées par un spécialiste dans un délai de trois heures.

Même réserve en ce qui a trait au projet d'imposer aux spécialistes de devenir le médecin traitant d'un plus grand nombre de patients hospitalisés.

Durant la période d'échanges en commission, puis en point de presse, le ministre Barrette a surtout cherché à opposer les omnipraticiens et les spécialistes, en centrant le débat autour des activités médicales particulières (AMP), une mesure visant à forcer les médecins omnipraticiens à travailler un certain nombre d'heures en milieu hospitalier, traditionnelle pomme de discorde avec les spécialistes.

La Dre Francoeur a estimé que le ministre faisait dévier le débat et cherchait à «noyer le poisson».

Le ministre Barrette a laissé entendre que les médecins spécialistes pourraient chercher à faire un gain financier, en prenant «progressivement» la place que les omnipraticiens occupent à l'hôpital. Il s'est dit «abasourdi» devant cette perspective.

«Il veut ranimer ce vieux débat. Ça n'arrivera pas», a répliqué la Dre Francoeur.

Procréation

À propos du programme de procréation médicalement assistée, l'autre volet du projet de loi, la FMSQ a émis de sérieuses réserves, croyant déceler de nouvelles «règles loufoques».

«Le ministre veut s'immiscer dans la chambre à coucher des Québécois en régissant le nombre de relations sexuelles des couples. Du jamais vu!», a commenté la Dre Francoeur, en faisant référence au projet de forcer les couples à avoir des relations sexuelles pendant quelques années avant d'avoir accès à la fécondation in vitro.

De son côté, l'Association des couples infertiles (ACIQ) a exhorté le ministre à renoncer à abolir la couverture publique de la fécondation in vitro (FIV), considérant que l'infertilité est une condition médicale.

Elle se montre elle aussi très préoccupée par «l'intrusion de l'État dans la chambre à coucher des couples infertiles» et s'insurge à l'idée d'apprendre qu'ils «devront cohabiter avec le regard inquisiteur de l'État».