Depuis le début de la crise au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), son nom est cité constamment dans les médias. On l'a accusé d'être un mauvais gestionnaire. Un intimidateur. On a évoqué ses liens d'amitié avec le ministre de la Santé, Gaétan Barrette. Dans une entrevue exclusive à La Pressel'ex-directeur du département de chirurgie du CHUM, le Dr Patrick Harris, brise le silence.

Estimant avoir été un bouc émissaire dans cette histoire, le Dr Harris, qui a dirigé pendant un peu plus de 10 ans le département de chirurgie du CHUM et qui est un réputé chirurgien spécialiste en reconstruction de la main, reconnaît avoir été fortement éprouvé par les événements des derniers jours.

Jeudi dernier, le directeur général du CHUM, Jacques Turgeon, a démissionné en disant ne pas accepter le fait que le ministre Barrette lui impose de renommer le Dr Harris comme chef du département de chirurgie du CHUM, sous peine de perdre la gouvernance de l'établissement.

«J'ai été abasourdi par l'ampleur de la crise. Des gens condamnés pour meurtre voient leur nom moins souvent cité dans les médias que le mien», déclare le Dr Harris. Visiblement ému, il ajoute que son épouse, ses enfants et d'autres membres de sa famille ont été touchés de plein fouet.

Hier, Jacques Turgeon a été réintégré dans ses fonctions. En conférence de presse, il a évoqué que le futur chef du département de chirurgie du CHUM sera un «leader» qui assurera une saine transition. Il a assuré que la candidature du Dr Harris sera étudiée, si elle est déposée, et a ajouté que le futur chef devra avoir une «vision académique».

«Ça veut dire que ce ne sera pas moi, conclut le Dr Harris. Je ne fais pas de recherche, mais j'encourage la recherche et l'enseignement. Je me vois plutôt comme un chef d'orchestre: je trouve le meilleur premier violon et je le fais venir ici», dit-il.

Selon le Dr Harris, on a voulu «le tasser» pour des raisons de conflit de personnalités et d'ambition. «Sur le premier comité de sélection qui devait choisir le nouveau chef du département de chirurgie, il y avait certaines personnes qui ne m'aimaient pas», résume-t-il.

Le manque de neutralité du premier comité de sélection a d'ailleurs été décrié par certains médecins du CHUM qui ont demandé au ministre Barrette d'intervenir. La recommandation de ce premier comité a été écartée par le conseil d'administration du CHUM, et un deuxième comité rendra sa décision au cours des prochains mois. «Mais le problème de partialité du deuxième comité de sélection est encore là», dénonce le Dr Pasquale Ferraro, chirurgien thoracique du CHUM.

Intimidation et harcèlement

Ce qui a particulièrement blessé le Dr Harris, ce sont les accusations de harcèlement et d'intimidation qui ont pesé sur lui. «J'ai plein de défauts. Oui, je suis gros. Oui, je peux parler fort. Mais je n'ai jamais intimidé ni mes collègues ni les étudiants», assure-t-il.

La semaine dernière, La Presse révélait que six des neuf programmes de chirurgie de l'Université de Montréal sont présentement en sursis auprès du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, notamment pour des problèmes d'intimidation. Or, ces programmes relèvent de l'Université de Montréal et du directeur du département de chirurgie de l'Université, le Dr Luc Valiquette. Ce dernier s'occupe des programmes d'enseignement de chirurgie au CHUM, à l'hôpital du Sacré-Coeur, à l'hôpital Sainte-Justine et à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont.

«J'ai demandé à l'Université si le CHUM était visé par les problèmes d'intimidation. On m'a dit que non. Mais aujourd'hui, on m'accuse de ça. Je n'en reviens pas», déplore le Dr Harris. Ce dernier affirme que le Dr Valiquette, qui siégeait au comité de nomination, ne l'aime pas.

Le Dr Valiquette n'était pas disponible, hier, pour commenter. Mais en conférence de presse, le recteur de l'Université de Montréal, Guy Breton, a assuré que les histoires de tensions entre les chefs de l'Université de Montréal et certains chirurgiens du CHUM sont «surfaites». «Vous amplifiez la réalité», a dit le recteur.

Déménagement complexe

Le Dr Harris aurait aimé poursuivre son mandat de chef du département de chirurgie. Du moins jusqu'à la fin du déménagement du CHUM sur son nouveau site, prévu pour l'été 2016. «Le déménagement, ce sera complexe. Tout n'a pas encore été planifié. Il va y avoir de la casse», prédit-il.

Par exemple, lors du déménagement, certains chirurgiens ne pourront se joindre au nouveau CHUM et devront continuer de pratiquer à l'hôpital Notre-Dame. «Les gens vont se battre pour les places. Ça prend quelqu'un qui connaît ça pour mener la barque, dit-il. J'aurais aimé traverser le déménagement et partir après.»

Pour l'instant, le Dr Harris ne sait pas ce que lui réserve l'avenir. «Moi, ce que j'aime, c'est les patients. J'ai eu plusieurs offres au fil des ans pour aller travailler ailleurs. Mais je me sens responsable des gens ici. Je ne pensais pas, par contre, qu'on me salirait ainsi...», souffle-t-il.

Le Dr Harris ne s'étend pas sur le retour en poste de Jacques Turgeon. Mais il questionne: «Tout le monde dit qu'il a à coeur le CHUM. Mais pourquoi a-t-il exposé l'institution comme ça?»

«Des amis, j'en ai peu»

Quand on le questionne sur ses possibles liens d'amitié avec le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, le Dr Patrick Harris répond sans hésiter: «Des amis, j'en ai peu.» Le Dr Harris reconnaît avoir côtoyé le Dr Barrette à l'époque où ce dernier était président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). «Mais j'ai eu plus d'engueulades avec lui que de discussions courtoises», précise-t-il.

Le Dr Harris ajoute avoir travaillé avec l'épouse du Dr Barrette, la radiologiste Marie-Josée Berthiaume, il y a plusieurs années. «Mais purement dans un cadre professionnel. Je ne joue pas au golf avec eux le week-end», témoigne-t-il.

Un chef de département «hors pair»

Une centaine d'employés du bloc opératoire du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) de même qu'une vingtaine de chirurgiens, anesthésistes et neurochirurgiens ont écrit au ministre de la Santé, Gaétan Barrette, hier, pour manifester leur appui au Dr Patrick Harris.

Dans une entrevue avec La Presse, une dizaine de chirurgiens et d'anesthésistes du CHUM ont assuré que la présence du Dr Harris à la tête du département de chirurgie est essentielle afin d'assurer un déménagement harmonieux. «Les gens sous-estiment la complexité du déménagement, croit le Dr Pasquale Ferraro, chirurgien thoracique. Le Dr Harris a une connaissance poussée du CHUM et il est le meilleur pour assurer une douce transition.»

Selon le Dr Ferraro, n'importe qui pourra prendre la tête du département de chirurgie après le déménagement. «Mais pas là», dit-il.

«Le Dr Harris est l'artisan des plans du nouveau bloc opératoire. On ne peut pas le tasser maintenant», croit l'anesthésiologiste Alain Gauthier.

Injustice

Pour une centaine d'employés du bloc opératoire de l'hôpital Notre-Dame du CHUM, les dommages causés à M. Harris sont injustes.

Pour eux, le Dr Harris est un homme «très présent, à l'écoute de [leurs] besoins et de [leurs] idées». «Nous sommes outrés et scandalisés par les propos calomnieux et fallacieux véhiculés par les médias à son sujet», écrivent-ils.

Chirurgien plastique, le Dr Joseph Bou-Merhi est du même avis. «On a l'impression dans cette histoire que la victime était M. Turgeon. Mais non. C'est le Dr Harris.»

«C'est un chef de département hors pair. On peut l'appeler à 3h du matin avec un problème, et il va nous aider», commente le Dr Alain Danino, chirurgien plastique.

«Vous ne trouverez personne ici, à l'interne, qui a quelque chose de mauvais à dire du Dr Harris. Oui, il est intransigeant. Mais il est juste. Et ce qu'on veut, c'est qu'il reste», témoigne l'anesthésiologiste Sylvie McKenty.