La relève des médecins est-elle assurée au Québec? Certains, en haut lieu, se permettent d'en douter.

La formation des futurs médecins risque d'être menacée par le projet de loi 20, selon les doyens des quatre facultés de médecine des universités québécoises.

Le projet de loi défendu par le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, pourrait entraîner un effet pervers, soit de diminuer le nombre de médecins de famille, selon les doyens, qui ont fait valoir leur point de vue commun, mercredi, dans le cadre de la consultation menée sur le projet de loi 20 à l'Assemblée nationale.

Les volumes de patients désormais imposés aux médecins dans la législation suffiraient à rendre la profession moins attrayante aux yeux des jeunes recrues, ont fait valoir les doyens en réclamant des changements.

Le projet de loi 20 vise notamment à accroître le taux de productivité des médecins, sous peine de sanctions financières importantes, pouvant atteindre jusqu'à 30 pour cent de leur rémunération.

Ceux qui ont la responsabilité de former les médecins de demain ont donc mis tout leur poids pour affirmer au ministre Barrette qu'ils ne pouvaient pas l'appuyer dans sa démarche.

Pour gagner leur appui, le ministre Barrette devra songer notamment à donner un statut au médecin enseignant, ont plaidé en choeur le doyen de la faculté de médecine de l'Université McGill, le Dr David Eidelman, celui de l'Université Laval, le Dr Rénald Bergeron, celui de l'Université de Sherbrooke, le Dr Pierre Cossette, et celle de l'Université de Montréal, la Dre Hélène Boisjoly.

Les doyens, qui se disent «très préoccupés» par la tournure des événements, ont exprimé leur méfiance envers le ministre Barrette, remettant même en question la véracité des chiffres qu'il a fournis sur la faible productivité des médecins pour justifier l'imposition de quotas.

De plus, ont-ils fait valoir, ces quotas ne tiennent pas compte des activités d'enseignement et de recherche exercées par certains médecins en marge de leur pratique.

Le nombre de résidences en médecine familiale a doublé au cours de la dernière décennie et devrait atteindre 514 en 2017. Mais cette tendance sera inversée, si le projet de loi est adopté tel quel, préviennent les doyens.

Aux yeux des médecins enseignants, «ce projet de loi est une insulte», a résumé en point de presse le Dr Bergeron, en marge de la présentation faite devant le ministre. Selon lui, leur perception du message transmis par le ministre est «que les médecins de famille ne travaillent pas».

Ils ne veulent «surtout pas vivre de la coercition. Ils veulent être capables de vivre une pratique sans avoir des menaces de 'comptabilisation» de toutes les minutes qu'ils font dans leur journée», a-t-il ajouté, disant craindre une baisse marquée du nombre d'inscriptions dans les facultés de médecine.

«À terme, cela peut réduire l'accès aux médecins de famille», a renchéri la doyenne de la faculté de médecine de l'Université de Montréal, la Dre Hélène Boisjoly, alors que le projet de loi vise exactement le contraire.

Autre effet pervers anticipé: «la dévalorisation de la médecine familiale», a déploré le Dr Eidelman, de l'Université McGill.

Par la suite, l'avocat spécialisé en droit de la santé Jean-Pierre Ménard est venu lui aussi exprimer d'importantes réserves par rapport au projet de loi 20.

Il se dit persuadé lui aussi que la législation n'améliorera pas l'accès à un médecin. Sa principale préoccupation a trait au suivi des patients.

Pour ne pas «être pénalisés financièrement», Me Ménard croit que les médecins auront tendance à privilégier les patients en bonne santé, pour éviter de les revoir trop souvent ou à une cadence trop rapprochée. Et éviter qu'ils aillent à l'urgence si leur médecin n'est pas disponible.

Les patients les plus vulnérables risquent d'être laissés pour compte, selon lui.

«Ce projet de loi-là, il n'est pas bon», a-t-il résumé, en entrevue, en marge de son témoignage en commission parlementaire.