«Quand je regardais mon frère, son oeil n'était pas à la bonne place dans son orbite.

«Je voyais le visage de mon prof d'été tout déformé.

«Les élèves qui se parlaient entre eux m'envoyaient des messages.»

L'air sage avec ses cheveux en brosse, Bruno énumère calmement ses hallucinations. L'adolescent de Laval-des-Rapides avait 15 ans quand le cannabis l'a conduit à l'hôpital psychiatrique, l'été dernier. Il en est ressorti seulement un mois et demi plus tard. Abonné aux antipsychotiques.

Bruno (qui préfère taire son nom de famille) gobait aussi de l'ecstasy. Mais c'est du cannabis qu'il fumait le plus souvent possible. C'est le cannabis qui lui manquait à l'hôpital. Et c'est le cannabis qui le met encore en danger.

Dès que les médecins lui ont permis de passer un week-end à l'extérieur, Bruno a convaincu son meilleur ami de lui vendre un peu d'herbe. «Il ne voulait pas, à cause de l'hôpital, mais je lui ai dit que sinon, c'était la fin de notre amitié.

«Il paraît qu'à mon retour à Sacré-Coeur, j'étais vraiment perdu. Les médecins m'ont mis dans une chambre d'isolement avec juste un lit, quatre murs et une fenêtre bloquée. Je faisais des push-up pour leur prouver que j'allais bien, mais l'effet était malade. C'est comme s'il y avait quelque chose qui grandissait et grandissait dans ma tête pour pouvoir exploser.»

Bruno a appris qu'il ne pourrait rentrer chez lui avant de compléter une thérapie. «J'ai regardé le médecin comme si j'allais le tuer, se souvient-il. Mais après, j'ai décidé d'y aller, juste pour faire taire les autres.»

Depuis son automne au centre pour adolescents Le Grand Chemin, Bruno voit les choses autrement. «Maintenant, dit-il, je sais que je ne suis pas comme les autres, que moi, je suis comme allergique au pot. Je sais qu'une seule fois, c'est une fois de trop.»

La main d'un avatar

Maintenant, Bruno comprend aussi qu'il s'est mis à fumer pour combler le vide laissé par son père, reparti à l'étranger sans sa famille. «J'avais 13 ans quand mon grand frère et mon cousin m'ont passé mon premier joint. Je cherchais un modèle. Mon meilleur ami a voulu essayer lui aussi. Et après, c'est tout ce qui l'intéressait. Il ne voulait plus faire de skateboard. J'ai embarqué pour ne pas me retrouver seul.

«Après, j'ai commencé à avoir besoin de mettre de la drogue dans mon corps. Quand je fumais, je me sentais invincible, supérieur... J'étais convaincu que tous mes rêves se réaliseraient. Je pensais que mon frère était Dieu, que c'était mon guide spirituel.

«Tu prends ça pour calmer ton anxiété, mais ça t'en prend toujours plus.»

Un jour, après avoir mêlé ecstasy, cannabis et cocaïne, Bruno se sent carrément basculer. Le garçon échoue à deux examens du Ministère et s'enfonce de plus en plus dans la paranoïa. Il pense qu'il va mourir en entendant une élève dire que l'école la tue. Il quitte son cours d'été en sanglots.

Quand Bruno implore sa mère de l'emmener au pavillon Albert-Prévost, en juillet, son grand frère s'y trouve déjà. «Il m'a déjà montré sa main en me disant qu'il était un avatar. Il était maigre; il faisait peur», raconte le Lavallois.

Le grand frère a fui son centre de thérapie dernièrement. Bruno, lui, est de retour à l'école. Il a recommencé à faire des blagues, à se passionner pour le basketball, à écouter du rap. «Je voudrais être chanteur, pour exprimer ce que j'ai vécu. En même temps, j'ai un peu peur que la musique ma ramène à la drogue. Ça me donne beaucoup le goût d'en prendre, mais je dois rester plus fort que mes envies.»