La famille d'un non-fumeur mort d'un cancer du poumon à 44 ans vient d'obtenir un dédommagement de 1,7 million en raison de la négligence de deux médecins.

En 2006, le médecin traitant de Marc Émond a omis de lui faire subir une radiographie demandée par son médecin spécialiste et qui aurait pu confirmer la nature d'une tache suspecte sur son poumon droit. Douze mois plus tard, on lui a diagnostiqué un cancer «inopérable et incurable». Il a survécu 17 mois avant de mourir.

Sa veuve, Cathie St-Germain, a dit à La Presse que la décision rendue il y a une semaine la contentait. «Je suis très satisfaite du jugement», a-t-elle confié. Son avocat, Stuart Kugler, s'est dit «très content pour la famille». Ils n'ont pas voulu commenter davantage.

Du total, 500 000$ ont été accordés pour «perte de soutien financier». Près de 300 000$ sont destinés à compenser les dommages psychologiques et moraux de la famille.

La juge Geneviève Marcotte, de la Cour supérieure, dont la décision a été annulée, avait accordé 70 000$ à la famille pour son «angoisse» et sa «frustration». Ces sentiments ont directement été causés par la faute des médecins Albert Benhaim et Michael O'Donovan, avait tranché le tribunal.

En contrepartie, la mort de M. Émond ne peut pas être directement liée à la négligence des deux professionnels, estimait la juge Marcotte: il est impossible de savoir à quel stade était le cancer au moment où l'erreur a été commise.

La juge de la Cour supérieure avait tort, vient de trancher la Cour d'appel.

«Nous croyons que la juge [a commis une erreur dans son interprétation du droit] en concluant que la faute des médecins ne constituait pas la cause probable des pertes associées à la mort de M. Émond», a écrit la Cour d'appel.

5600 km de vélo

M. Émond a subi une première radiographie lors d'un examen de routine, à la fin de 2005. Celle-ci a détecté une «opacité» au poumon droit du patient. Une radiographie de contrôle a confirmé «la présence de la même opacité», écrit la Cour d'appel.

Michael O'Donovan, le radiologue chargé du dossier, a alors recommandé que M. Émond subisse de nouvelles radiographies quatre mois plus tard afin de déterminer ce dont il s'agissait. Son médecin traitant, le Dr Albert Benhaim, ne l'a pas informé de cette demande, et M. Émond n'a passé une radiographie que 12 mois plus tard.

On lui a diagnostiqué un cancer incurable en janvier 2007, mais aucun symptôme ne s'est manifesté avant l'automne de la même année. Il a fait 5600 km de vélo pendant son dernier été, avant de mourir à la fin du printemps 2008. «M. Émond s'éteint à l'hôpital, laissant derrière lui sa conjointe Cathy et son fils X, alors âgé de 8 ans», écrit la Cour supérieure.

«Horaire chargé»

Dans sa décision de première instance, la Cour supérieure retient la responsabilité du Dr Benhaim, qui «a fait preuve de laxisme et de négligence susceptible d'engager sa responsabilité».

La juge souligne aussi l'«horaire chargé» du médecin. M. Benhaim dirigeait «la Clinique Physimed qu'il a fondée» (230 000 patients), «il voit en moyenne 20 à 25 patients par jour, en sus des autres fonctions qui lui sont dévolues comme chef adjoint du département régional de médecine générale de Montréal», écrit la Cour.

Quant au radiologue, le Dr Michael O'Donovan, des erreurs dans l'analyse des radiographies lui sont reprochées. «Le Tribunal estime qu'il a commis une faute», peut-on lire dans la décision datant de septembre 2011. Il aurait dû réagir plus rapidement à la présence d'une tache sur le poumon d'un patient en bonne santé et non-fumeur, selon la Cour.

Les avocats de MM. Benhaim et O'Donovan ont refusé d'indiquer s'ils comptaient porter la cause en appel devant la Cour suprême. «Nous ne sommes pas en position de commenter en ce moment», a écrit Me David E. Platts par courriel.

Des dédommagements de plus en plus substantiels

Les juges québécois accordent des sommes de plus en plus substantielles aux victimes d'erreurs médicales, selon Me Jean-Pierre Ménard, qui a fait de ce domaine sa spécialité.

«Les montants accordés, ç'a évolué ici depuis quelques années», s'est réjoui l'avocat. «Les gens, tranquillement pas vite, sont mieux indemnisés - surtout quand il y a des pertes économiques, quand les gens perdent leur moyen de subsistance.»

L'avocat estime que le jugement rendu en faveur de la veuve de Marc Émond et de son fils constitue un «bon jugement» qui s'inscrit dans cette lignée.

Il ne s'agit toutefois pas d'un record. Loin de là, a-t-il souligné.

«Des causes de 1, 2, 3 ou 4 millions, ce sont des choses qui sont tout à fait faisables présentement», a-t-il dit.

M. Ménard a rappelé que si certains dossiers finissent sur la place publique, beaucoup plus de cas - et donc de dédommagements - font l'objet d'une entente entre victimes et fautifs. «La grande majorité des causes, on ne les plaide pas. On les règle hors cour», a-t-il dit. «Cette année, moi, j'en ai réglé plusieurs qui dépassaient le million de dollars.» Ces ententes sont virtuellement toujours assorties d'une obligation de confidentialité quant à la somme reçue, afin d'éviter de faire monter les enchères lors de dossiers subséquents.

Erreurs médicales au Québec

3,5 millions pour un accouchement raté

En 2011, une famille montréalaise a obtenu un dédommagement de 3,5 millions pour un accouchement raté qui a laissé leur enfant lourdement handicapé. La Dre Lorraine Tessier ne s'était présentée à l'hôpital du Sacré-Coeur que 16 heures après le début du travail, alors que la situation s'était dégradée bien avant. «Si la césarienne avait été pratiquée 5 minutes plus tôt, l'enfant n'aurait probablement pas eu de séquelles», avait assuré un médecin devant le tribunal.

450 000$ exigés de pharmaciens fautifs

Les erreurs médicales ne sont pas l'apanage des médecins. En 2011, deux pharmaciens du Lac-Saint-Jean ont été condamnés à verser 450 000$ pour ne pas avoir fourni le médicament qu'un médecin avait prescrit à une patiente âgée. Elle en est morte un mois plus tard. Si l'un des pharmaciens «avait prêté au dossier la moindre attention, il aurait vu ce qu'il devait voir», avaient écrit les juges de la Cour d'appel.

2,5 millions, 20 ans plus tard

En 1997, Anne Poulin a obtenu 2,5 millions d'un médecin qui n'avait pas pris en compte son utilisation d'anovulants avant de la faire passer en salle de chirurgie pour un problème de pierres aux reins. Quelques jours plus tard, la patiente a fait une thrombose causée par l'effet coagulant de la «pilule». Elle restera paralysée pour le reste de sa vie. Les faits remontent à 1976, alors que Mme Poulin n'avait que 23 ans.