En avril dernier, lorsque le nouveau règlement sur la prescription de cannabis thérapeutique est entré en vigueur, le Collège des médecins du Québec a recommandé aux médecins de ne pas en prescrire jusqu'à ce qu'un protocole de recherche sur les usages médicaux du cannabis soit mis sur pied.

Or, ce protocole de recherche n'est pas encore au point. L'ouverture de la clinique Santé cannabis est donc largement «prématurée», estime le Dr Yves Robert, vice-président du Collège des médecins.

«Il faut absolument que le tout se fasse dans le cadre d'un projet de recherche. On va être prêts à commencer en janvier. Où est l'urgence d'ouvrir une telle clinique? Il y a 20 fournisseurs qui ont eu leur autorisation de Santé Canada. Il y a une certaine lutte commerciale pour être les premiers sur le marché. Ma question, c'est: y a-t-il des intérêts commerciaux derrière cette clinique?»

Le Dr Robert fait remarquer que l'un des médecins qui oeuvrent à la clinique, la Dre Marcia Gillman, a rédigé une lettre aux journaux pour pourfendre le Collège des médecins du Québec dès le lendemain de l'adoption du nouveau règlement. «Y a-t-il un lien entre certains producteurs et certains médecins?», demande-t-il.

Le Collège craint clairement les dérives du pot thérapeutique. «Au Colorado, un médecin avait fait 3500 ordonnances dans une seule journée. Il ne faut pas être naïfs: il y a une business derrière ça. Et c'est ce qui nous inquiète.»

Pourquoi faut-il attendre un protocole de recherche? «Parce que le cannabis est un traitement qui n'est pas reconnu. Il faut établir des balises pour la prescription, le dosage. Et il faut le faire correctement, dans le cadre d'un projet de recherche.» Les patients consommateurs seraient donc sollicités pour constituer une grande banque de données sur ces aspects du produit, ainsi que sur les effets secondaires.

Le Collège des médecins a appris l'ouverture de la clinique Santé cannabis par les journalistes. «Ils auraient dû nous en parler. Ils peuvent se mettre dans une situation délicate de contravention de nos directives», observe le Dr Robert. Des sanctions sont-elles au menu pour les médecins de la clinique? «On verra. Notre objectif n'est pas d'être répressifs, mais il ne faut pas non plus être complaisants.»

Le vice-président du Collège des médecins s'insurge également de la décision de Santé Canada de se retirer de la gestion du cannabis médical. «En modifiant son règlement, Santé Canada se lave les mains de la santé des Canadiens. Ils ont voulu se sortir le plus vite possible de ce dossier-là, tout en étant obligés de continuer d'offrir le produit à cause des décisions des tribunaux. Ils ont donc transféré le poids de tout cela sur les épaules des médecins.»

Essentiellement, le protocole de recherche qui sera établi par le Collège des médecins vise à répondre avec le plus de précision possible à quatre questions.

1. À qui prescrit-on du cannabis et pourquoi?

À l'heure actuelle, le Collège des médecins reconnaît l'usage du cannabis thérapeutique pour sept problèmes de santé graves, allant de la sclérose en plaques au cancer. Cependant, Santé Canada a une liste d'une quarantaine d'affections pour lesquelles le cannabis pourrait être un traitement admissible, comme l'asthme ou le glaucome. Qu'en dit la science?

2. Combien en prescrit-on?

Le cannabis n'est pas un produit standardisé. Et comme il est inhalé, la quantité de produit qui se retrouve dans le sang varie aussi d'un patient à l'autre. Sachant tout cela, quelles quantités les médecins doivent-ils prescrire?

3. Quelle est l'innocuité du cannabis?

La communauté médicale admet généralement que l'ordonnance maximale de cannabis thérapeutique s'élève à cinq grammes par jour. Mais à partir de quel dosage précis la consommation de cannabis peut-elle devenir dangereuse?

4. Quelles sont les interactions avec les autres médicaments?

Les patients souffrant de cancer ou de sclérose en plaques consomment généralement d'autres médicaments. Les interactions avec le cannabis pourraient-elles être dangereuses?

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

La clinique est équipée d'une cuisine ultramoderne à l'arrière.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Les usagers de la clinique peuvent notamment apprendre à transformer la plante en caramels ou en brownies ultra-moelleux.