La grande réforme des structures que souhaite accomplir le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, se bute à l'opposition des médecins spécialistes.

La Fédération des médecins spécialistes (FMSQ) juge «irrecevable» le projet de loi 10 parce qu'il équivaut, selon la présidente Diane Francoeur, à donner un «chèque en blanc» au ministre Barrette.

Au premier jour de la commission parlementaire qui étudie le projet de loi, Mme Francoeur s'est inquiétée des pouvoirs que veut s'arroger le ministre et s'est interrogée sur la pertinence de cette énième réforme en pleine période de restrictions budgétaires.

«Il faut s'interroger sur l'intérêt de procéder à une réforme majeure qui remettrait en question l'organisation actuelle des établissements. Nous croyons qu'une réorganisation d'une telle envergure pourrait engendrer des bouleversements importants et des effets davantage négatifs que positifs», a fait valoir Mme Francoeur.

«Les avantages ne seront constatés qu'après de nombreuses années d'instabilité et de sous-performance: peut-on se le permettre dans l'état actuel du système de santé?», a-t-elle ajouté.

La proposition législative prévoit l'abolition des 18 Agences de santé et la fusion des établissements régionaux pour ne former qu'un seul établissement par région appelé «Centre intégré de santé et de services sociaux». Le projet de loi permet au ministre de nommer les dirigeants et les membres du conseil d'administration des établissements régionaux en plus de lui donner le pouvoir d'émettre des directives et des orientations. L'objectif poursuivi est de réduire la bureaucratie, faire des économies de l'ordre de 220 millions $ par année, à terme, et d'améliorer la prestation des services.

Les médecins spécialistes considèrent néanmoins «démesurée» la concentration des pouvoirs aux mains du ministre et reprochent au projet de loi de «politiser» le processus de nomination des administrateurs.

«Nous avons toujours insisté sur l'importance de dépolitiser le réseau de la santé. Or, en permettant au ministre de nommer lui-même chacun des membres des conseils d'administration et des hauts dirigeants, le projet de loi va dans le sens contraire et accroît l'influence politique du ministre», a soutenu la présidente de la FMSQ.

L'appropriation de pouvoirs par le ministre est source d'inquiétude chez les spécialistes qui n'y voient rien de bon pour le fonctionnement adéquat du réseau.

«Le ministre se trouvera ainsi à faire de la microgestion quotidienne dans le réseau, ce qui n'est ni souhaitable, ni efficace», a dit Mme Francoeur.

La FMSQ doute aussi de l'effet bénéfique de la fusion des établissements régionaux.

«La Fédération croit que l'abolition des agences ne doit pas nécessairement entraîner la fusion de l'ensemble des établissements de santé d'une région, qui y perdent en autonomie et en flexibilité pour organiser la prestation des soins à leur population», a déclaré Mme Francoeur.

En point de presse, la porte-parole du Parti québécois en matière de santé, la députée Diane Lamarre, a décrit la réforme Barrette comme une tentative de prendre le «contrôle complet du réseau (par) un seul individu, une seule personne».

À son avis, le ministre se lance dans de grandes manoeuvres à l'aveuglette sans l'assurance d'une amélioration de l'accès aux soins de santé.

«On va perdre énormément d'années (pour réaliser la réforme) alors que le besoin de la population est l'accès. Il faut croire les yeux fermés le ministre qui nous fait la promesse d'une amélioration éventuelle de l'accès. La population nous dit depuis dix ans qu'elle veut un meilleur accès. On rebrasse le jeu de cartes en ne sachant pas du tout ce qui va arriver au bout de la piste», a-t-elle argué.

De son côté, le député caquiste Éric Caire a dit être préoccupé par la mainmise du ministre sur les nominations. Il a brandi le spectre du copinage politique dans l'administration du réseau de la santé.

«Ça pourrait donner lieu à une série de nominations partisanes d'anciens députés en mal d'emploi et je ne suis pas convaincu que le réseau de la santé sortirait grandi de ça», a-t-il noté.

À cela, le ministre Barrette a rétorqué que son seul objectif était de nommer les candidats les plus aptes à diriger le réseau.

«Ce n'est pas une question de nomination politique, s'est-il défendu. L'objectif de ces provisions-là est de faire en sorte que j'ai l'occasion, à la case départ, d'avoir l'assurance que les gens les plus compétents soient nommés. Dans le projet de loi, les nominations viennent et doivent passer par le filtre d'un comité d'experts et le comité d'experts filtrera les gens sur la base de compétences en gestion et en connaissance du milieu de la santé.»