Le Groupe Jean Coutu manoeuvre en coulisse pour que le gouvernement lui confie la responsabilité du projet pilote des nouvelles supercliniques promises par les libéraux lors de la dernière campagne électorale, a appris La Presse.

La chaîne de détaillants en pharmacie a embauché une lobbyiste pour l'aider à investir ce nouveau champ d'activités commerciales.

« On explore toutes les avenues », a confirmé Hélène Bisson, vice-présidente aux communications du Groupe Jean Coutu, lorsqu'interrogée sur le rôle que l'entreprise pourrait jouer dans l'implantation de ce nouveau type d'établissements, dont la forme n'a pas encore été fixée par le gouvernement.

Lors de la dernière campagne électorale, Philippe Couilllard et son équipe avaient promis la création dans tout le Québec d'une cinquantaine de supercliniques aux heures d'ouverture très étendues. Ces établissements regrouperaient des médecins omnipraticiens, des spécialistes, des infirmières et d'autres professionnels de la santé sous un même toit.

Privés ou publics?

Le projet est toujours dans les cartons du ministre Gaétan Barrette, qui n'a pas encore précisé s'il s'agirait d'établissements privés ou publics.

« Il reste à choisir le cadre de gestion, mais ce qui est important, c'est que peu importe la forme, le patient pourra payer avec sa carte d'assurance maladie », confirme Joanne Beauvais, attachée de presse du ministre.

Le Groupe Jean Coutu ne veut pas regarder le train passer sans agir. L'entreprise, qui exploite plus de 400 établissements franchisés en pharmacie et qui fabrique aussi des médicaments génériques, a demandé à sa lobbyiste Ginette Pellerin d'intervenir auprès du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et du ministère de l'Économie, de l'Innovation et des Exportations.

Elle doit obtenir les informations nécessaires et préparer un « dossier pertinent afin de collaborer avec le MSSS à la mise sur pied de plusieurs supercliniques, dans plusieurs régions du Québec ».

« Particulièrement, le client veut obtenir le mandat du projet pilote de la première superclinique », précise la fiche de Mme Pellerin au registre des lobbyistes.

Si jamais le Groupe Jean Coutu se voit confier un rôle dans l'implantation des supercliniques, il faudra qu'il le fasse dans le respect des règles qui régissent les relations entre pharmaciens et médecins, prévient Manon Lambert, directrice générale de l'Ordre des pharmaciens du Québec.

« On peut avoir des pratiques commerciales, oui, mais elles sont limitées par la déontologie des professionnels dans le secteur de la santé », souligne-t-elle.

« Par le passé, il y a eu des pharmaciens qui, peut-être en faisant jouer leur chaîne ou leur enseigne, ont offert des avantages à des médecins pour les attirer chez eux. Dans ce contexte, le pharmacien contrevient à son code, qui prévoit qu'il ne peut pas verser d'avantages à quelqu'un, encore moins à un médecin, car on peut penser qu'il y aura retour d'ascenseur et que le médecin va se rendre coupable de dirigisme, soit de priver le patient du libre choix de son pharmacien », dit-elle.

« Si une chaîne ou une enseigne prend le leadership, elle ne peut pas non plus imposer une surcharge de loyer au pharmacien d'un établissement pour compenser un loyer plus bas offert au médecin pour l'attirer », ajoute Mme Lambert.

Réflexion au collège des médecins

Joint par La Presse, le Collège des médecins a quant à lui précisé qu'il réserverait ses commentaires sur les intentions du Groupe Jean Coutu, car il compte entreprendre une vaste réflexion cet automne sur la question de la propriété des cliniques par des personnes qui ne sont pas médecins.

Dès 2004, La Presse et Le Soleil avaient révélé des cas de grandes chaînes de pharmacies qui offraient des avantages pécuniaires à des médecins dans l'espoir de bénéficier ensuite de leurs ordonnances. La loi a été modifiée en 2007 pour interdire ces pratiques, alors que Philippe Couillard était ministre de la Santé. Gaétan Barrette, à cette époque président de la Fédération des médecins spécialistes, s'était opposé bec et ongles à ce changement. Le futur ministre prétendait alors que les services à la population pourraient être touchés si le gouvernement empêchait les pharmaciens d'offrir des rabais sur les loyers aux médecins.