Plus de trois mois après avoir été interdits d'importation aux États-Unis - en raison de dissimulation et de manipulation de données -, 7 des 300 médicaments d'Apotex seront mis en quarantaine au Canada.

Le ministère fédéral de la Santé en a fait l'annonce hier, après avoir été fustigé par les partis d'opposition et par des observateurs de l'industrie pour sa culture du secret et sa mollesse à l'égard des sociétés pharmaceutiques.

Depuis quelques années, les ratés se succèdent et le plus grand vendeur canadien de médicaments n'y échappe pas. En avril dernier, les inspecteurs de la Food and Drug Administration (FDA) américaine constataient qu'Apotex avait caché des résultats de tests menés dans l'une de ses trois usines de Bangalore, en Inde. En juin, ils lui reprochaient des «déviations marquées par rapport aux bonnes pratiques de fabrication». Plusieurs médicaments de la société torontoise avaient déjà été bannis du marché américain entre 2009 et 2011, et ont failli l'être à nouveau en 2013.

Cet été, les inspecteurs canadiens ont prié Apotex de procéder au rappel des médicaments visés par les Américains ou, du moins, de ne plus les importer. Mais l'entreprise a refusé. Santé Canada s'est alors contenté d'exiger des contrôles de qualité supplémentaires.

Face au tollé suscité par cette révélation - faite la semaine dernière en Chambre des communes -, Santé Canada a finalement convaincu Apotex d'obtempérer, le temps d'en savoir plus sur «l'impact potentiel de tout problème que [la FDA] a détecté sur les produits destinés au marché canadien».

«C'est plus une précaution qu'autre chose, mais c'est une bonne nouvelle de voir que tout le monde collabore», a déclaré à La Presse le président de l'Ordre des pharmaciens du Québec, Bertrand Bolduc.

«Si Santé Canada continue d'être aussi opaque, il y aura toujours des doutes. Le Ministère récolte en quelque sorte ce qu'il a semé», souligne quant à lui Pierre Morin, président du Groupement provincial de l'industrie du médicament.

Au lendemain d'un reportage de La Presse sur Ranbaxy - un géant indien du générique condamné pour fraude -, le Groupement avait rencontré Santé Canada et souligné son «problème de crédibilité». Le problème persiste, dit-il, à la lumière des dernières révélations du Toronto Star au sujet de 40 pharmaceutiques canadiennes s'étant vu reprocher des «violations graves» par la FDA.

Hier, l'Association des retraités de l'éducation et des autres services publics du Québec a réclamé une «intervention musclée du gouvernement fédéral» et a demandé que le ministre de la Santé du Québec, Gaétan Barrette, insiste auprès de son homologue fédérale, Rona Ambrose, «pour que la promotion et la vente des médicaments génériques soient resserrées». Dans certains cas, seuls ces médicaments sont remboursés par la Régie de l'assurance maladie du Québec, explique le président de l'Association,

Pierre-Paul Côté.

«Santé Canada met des produits en quarantaine, mais laisse sur les étagères ceux qui s'y trouvent déjà, sans qu'on puisse les reconnaître», s'inquiète-t-il par ailleurs. Au Québec, les médicaments d'Apotex sont ainsi vendus sous d'autres noms par les grandes chaînes de pharmacies québécoises. Leurs marques (comme Pro Doc, Sanis et Sivem) s'approvisionnent en partie chez Apotex. Ces échanges de produits, très fréquents, sont toutefois cachés au public et aux pharmaciens.

Le plus gros distributeur de médicaments, McKesson, affirme qu'il ne distribue au Québec qu'un seul des sept médicaments ciblés par la FDA et Santé Canada. «Nous collaborerons avec toutes les parties prenantes comme toujours. Nous attendons les instructions du manufacturier afin de connaître les détails de la mise en quarantaine et les actions à mettre en oeuvre immédiatement», a écrit son porte-parole à La Presse.

Et maintenant?

«Si Santé Canada a besoin des médias pour se soucier de la sécurité du public, on a le pire des systèmes. On s'attend à ce que le gouvernement agisse à la base, pas qu'il réagisse aux manchettes», a commenté Alan Cassels, chercheur à l'Université de Victoria et auteur de Selling Sickness.

Dans un courriel, le Ministère a écrit à La Presse qu'il n'hésite pas à exiger la mise en quarantaine de produits «quand il y a une possibilité de risque pour la santé». Il dit l'avoir fait à l'égard de Ranbaxy en 2008 et 2013, et à nouveau la semaine dernière, à l'égard des laboratoires indiens IPCA.

Les médicaments visés

• Les antihypertenseurs candesartan et énalapril

• L'antihistaminique olopatadine

• L'antiacide lansoprazole

• L'antiviral entécavir

• L'antibiotique linézolide

• L'immunosuppresseur mycophénolate mofétil