La Direction de santé publique (DSP) de Montréal presse les autorités d'encadrer la cigarette électronique, un produit qui connaît un essor fulgurant malgré une commercialisation en pleine zone grise.

Dans un document de travail interne, dont les conclusions seront publiées plus tard cette année, l'organisme émet cinq recommandations pour réglementer ce produit, présentement en vente libre dans plus d'une vingtaine de commerces à Montréal.

Le nombre de ces boutiques spécialisées se comptait sur les doigts d'une main il y a à peine un an. «On demande à Santé Canada de normaliser les doses de nicotine et de produits toxiques dans les cigarettes électroniques, afin de minimiser les risques liés à la santé», explique d'entrée de jeu le directeur de santé publique de Montréal, Richard Massé.

La DSP recommande également que les cigarettes électroniques soient mises en marché de la même façon que les produits du tabac. L'organisme souhaite que la cigarette électronique soit assujettie à la Loi sur le tabac, avec des clauses spécifiques comme l'interdiction de toute publicité et la permission de l'utiliser dans les centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), les établissements pour personnes atteintes de problèmes de santé mentale et les prisons.

La DSP voudrait aussi que la cigarette électronique soit mise en priorité à la disposition des fumeurs endurcis, incapables d'écraser, et ce, sous supervision thérapeutique avant sa mise en marché au Canada.

Enfin, la DSP suggère de considérer la cigarette électronique comme un support pharmacologique pour abandonner le tabagisme - au même titre que la gomme et les timbres à la nicotine -, mais seulement après une évaluation d'efficacité convaincante.

À l'heure actuelle, Santé Canada et le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec invitent les gens à ne pas consommer de cigarettes électroniques avec nicotine, sous prétexte de ne pas avoir en main d'études scientifiques suffisamment concluantes sur leurs conséquences sur la santé.

Au Québec, la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse et à la Santé publique, Lucie Charlebois, travaille actuellement sur une révision de la Loi sur le tabac, à la lumière des recommandations de la DSP. «Ça fait partie des priorités de la ministre», a souligné son attachée de presse Alexandra Bernier.

Solution au tabagisme?

En attendant, l'inaction des autorités est vertement dénoncée par plusieurs médecins réputés, pour qui la cigarette électronique a déjà fait ses preuves et pourrait s'avérer la solution ultime aux ravages causés par le tabagisme. «Plus de 80% de nos patients, des fumeurs endurcis, ont cessé le tabac à cause de la cigarette électronique», affirme le pneumologue et professeur agréé à la faculté de médecine de l'Université McGill, Gaston Ostiguy.

Le médecin montréalais est parmi la cinquantaine de docteurs et d'experts internationaux qui ont récemment signé une lettre demandant à l'Organisation mondiale de la santé de reconnaître la cigarette électronique comme méthode pour cesser de fumer.

«La cigarette électronique est nettement moins nocive que la cigarette tabagique. C'est la grande notion de réduction des méfaits», résume le pneumologue, qui exhorte les autorités à bouger dans ce dossier. «On interdit la cigarette électronique alors qu'on peut acheter des cigarettes au dépanneur, même si on nous répète depuis 50 ans qu'elles sont nocives», déplore le pneumologue.

Il qualifie de «très faibles» les arguments des gens opposés à la commercialisation des cigarettes électroniques, qui redoutent notamment qu'elles encouragent les jeunes à commencer à fumer. «En Angleterre, une étude récente démontre que 99% des gens qui fument la cigarette électronique sont d'anciens fumeurs.»

Le Dr Ostiguy, qui compte plusieurs fumeurs endurcis parmi ses patients, n'a pas besoin de traverser l'Atlantique pour se convaincre des vertus de la cigarette électronique. «Je vois plein de success story, dont un homme qui fumait 75 cigarettes par jour et qui avait du mal à marcher un coin de rue sans s'arrêter. Il n'a pas retouché au tabac», raconte le pneumologue, qui trouve aberrant de devoir faire sortir par temps glacial des mourants atteints de maladies chroniques pour fumer leur cigarette.

Vapotage en public

La DSP se montre pour sa part plus nuancée dans le débat, même si elle reconnaît les avantages de vapoter. «La cigarette électronique est de 10 à 100 fois moins nocive que la cigarette, mais on ne peut pas dire qu'elle ne contient rien de nocif, explique le Dr Massé. On peut la voir comme un démon ou une panacée. On pense que ce n'est ni l'un ni l'autre. D'un côté, ça crée une dépendance; de l'autre, c'est moins toxique que le tabac.»

La DSP estime néanmoins que le vapotage dans des endroits publics constituerait un retour en arrière, et ce, même si les cigarettes électroniques ne produisent presque essentiellement de la vapeur.

Le Dr Ostiguy abonde dans le même sens. «Scientifiquement parlant, on pourrait vapoter dans une pouponnière, mais socialement parlant, des gens se sont battus des années contre la fumée secondaire. Faudrait pas exagérer.»

Les volutes blanches produites par la cigarette électronique s'élèvent néanmoins de plus en plus dans les bars et restaurants, près de 10 ans après l'interdiction d'y fumer la cigarette.

Là encore, les gens du milieu ne savent pas trop sur quel pied danser. «Il y a beaucoup d'appels sur la réglementation, pour savoir si c'est légal ou pas. Le plus étonnant, c'est qu'il y a plus de clients que de propriétaires de bars qui nous contactent», explique le président de la Corporation des propriétaires de bars du Québec, Renaud Poulin.

En l'absence de réglementation, les tenanciers de bar ont le droit d'accepter ou non le vapotage entre les murs de leur établissement.

Et la fumée blanche en pleine zone grise.

VAPOTER ICI ET AILLEURS

> Canada

Santé Canada invite depuis 2009 les Canadiens à ne pas consommer de cigarette électronique avec de la nicotine.

> Québec

Le ministère de la Santé et Services sociaux invite aussi la population à s'abstenir de consommer les cigarettes électroniques, qu'elles contiennent ou non de la nicotine. Le directeur national de santé publique du Québec ajoute vouloir empêcher son utilisation dans les lieux visés par la Loi sur le tabac. 

> Angleterre

Le gouvernement a décidé de réglementer la cigarette électronique en tant que produit pharmaceutique d'ici 2016. Les commerçants devront obtenir une licence s'ils veulent avoir le droit de vendre le produit. Plusieurs autres pays de l'Union européenne ont emboîté le pas.

> États-Unis

Depuis 2011, la cigarette électronique est considérée comme un produit du tabac. Cette disposition interdit son utilisation dans certains lieux publics, la vente aux mineurs et la publicité.

LES CINQ RECOMMANDATIONS

> Que des normes soient établies par Santé Canada sur les concentrations maximales de nicotine et de produits toxiques, dont les nitrosamines, contenus dans les cigarettes électroniques (CE) pour assurer un minimum de dangerosité et la qualité du produit.

> Que la CE soit mise en marché au Canada comme un produit du tabac.

> Que la CE soit assujettie à la Loi sur le tabac en y ajoutant des clauses spécifiques: interdiction de toute publicité, promotion et commandite, de publicité comme aide à l'abandon du tabac ou à la réduction du méfait, de toutes saveurs. Que l'utilisation soit permise dans certains lieux qui font déjà l'objet d'exceptions dans la Loi sur le tabac comme les CHSLD, les établissements pour santé mentale et toxicomanie, les prisons, etc.

> Que la CE soit mise à la disposition des fumeurs incapables de cesser de fumer, sous supervision thérapeutique, avant la mise en marché au Canada.

> Que la CE ne soit autorisée comme aide pharmacologique qu'après une évaluation d'efficacité pour l'abandon du tabac ou pour la réduction des méfaits.

Source: DSP de Montréal