C'est sa conjointe qui a trouvé le corps de Mario Muggeo. Affaissé sur le divan du salon, il avait une seringue dans une main et un élastique autour du bras.

Quelques heures plus tôt, il était allé la reconduire à une fête. Elle l'avait invité; il avait décliné. Mais, avait promis l'homme, il repasserait la chercher plus tard en soirée. Il n'est jamais venu.

C'était le 10 mai. Le lendemain de son 48e anniversaire.

«Je suis certaine qu'ils ne lui ont pas donné le bon stock, ce soir-là. Je n'arrête pas de me dire que j'aurais pu le sauver si je n'avais pas été à cette fête», confie sa veuve.

La mort de Mario Muggeo fait partie d'une vingtaine d'autres qui font actuellement l'objet d'une enquête par les autorités de santé publique dans le cadre de la vague de surdoses qui secoue Montréal.

Sa conjointe a accepté de nous raconter leur histoire, à condition que nous taisions son nom. Pas qu'elle a honte de son chum. «Mario était comme il était et je l'aimais. C'était un grand coeur. Mes proches savent qu'il avait des problèmes.»

Elle craint plutôt des répercussions au travail. Le tabou est grand autour de l'héroïne.

Elle avait 17 ans quand elle a rencontré «l'homme de sa vie». Son premier amour: celui qu'elle n'a jamais complètement oublié. «Il avait déjà des problèmes de drogue. À cette époque-là, c'était la coke. Il venait même voler dans mon appartement pour pouvoir s'en acheter.» Elle l'a quitté.

Leurs chemins se sont croisés de nouveau à la fin des années 2000, après 18 ans de silence. Son ex l'a appelée de prison, où il purgeait une peine pour vol. «Encore pour de la drogue.»

Mais en prison, il était clean. Il allait bien et il voulait s'en sortir. «On a commencé à s'écrire des lettres. J'allais le voir trois fois par semaine. Il me disait que je gaspillais mon temps et mon argent. Mais on avait du bon temps. Il était tellement fier de la femme que j'étais devenue.»

Quand il est sorti, il est allé vivre chez elle. Ensemble, ils lui ont trouvé du travail en traficotant un peu son CV.

Il a conduit des limousines. Puis il été embauché en 2010 dans une usine de meubles où il conduisait un chariot élévateur.

Il a sombré à peu près à la même époque.

«Je me suis vite rendu compte qu'il y avait quelque chose», dit sa copine. Elle a travaillé longtemps auprès des itinérants. La drogue, elle connaît. «Je savais que c'était de l'héroïne, mais pas qu'il se piquait. On m'a dit de le mettre dehors, mais j'ai refusé. J'ai vu les ravages de la drogue sur les sans-abri. Je ne voulais pas qu'il finisse comme ça.»

C'est en lui touchant le bras qu'elle a compris. «Il a eu un mouvement de recul. Je l'ai confronté et il a avoué.»

Il est allé frapper à la porte du Centre de recherche et d'aide pour narcomanes (CRAN), où on l'a inscrit à un programme de méthadone. Son infirmière Lise Poirier en garde d'ailleurs un très bon souvenir.

Le substitut lui a permis de garder son travail, mais pas d'arrêter de consommer. «Il appelait souvent pour dire qu'il était malade, mais ses collègues pensaient que c'était à cause de son diabète», raconte sa veuve.

Mario, dit-elle, n'avait jamais d'argent. Il a vendu jusqu'à ses bijoux, dans la honte. «Des fois, il me demandait 20$ pour aller chercher un paquet de cigarettes ou pour faire le plein. Je les lui donnais, mais je vérifiais que le réservoir d'essence était rempli et qu'il avait des cigarettes. Sinon, je ne lui aurais plus jamais donné un cent.»

Parfois, il gardait quelques dollars pour lui acheter son biscuit préféré. À la maison, il découpait des coeurs pour écrire des messages d'amour. «Je t'aime même si je te fâche.» Elle a tout mis dans une boîte à souvenirs.

Tous les dimanche, ils déjeunaient au restaurant. Dans l'auto, ils chantaient au son de la musique. Ils étaient bénévoles auprès des personnes âgées. Et quand il était au plus mal, il faisait promettre à son amoureuse de ne jamais toucher à la drogue.

«Ce n'était pas facile, mais c'était un homme bon. Nous étions inséparables.» Dans les derniers mois, il a décliné. «Il n'était plus comme avant. Il vomissait. Il ne se lavait plus. Il était toujours fatigué. J'avais peur qu'il meure. Il répondait qu'il était habitué.» Une fois, il est disparu durant 36 heures.

Au CRAN, on l'a menacé de lui faire enlever son permis de conduire. À la fin, il ne voulait plus amener le chien avec lui en voiture de peur qu'il n'arrive quelque chose.

C'est le chien qui était à la maison quand il est mort. Il a jappé durant des heures.