Si les médecins cessaient de prescrire indûment des médicaments et des examens de toutes sortes - et les patients, de les réclamer -, le Québec pourrait économiser 5 milliards de dollars par année, estime l'Association médicale du Québec (AMQ), qui mène une campagne notamment contre le recours excessif aux tests Pap, aux électrocardiogrammes et aux antibiotiques dans le traitement des sinusites.

Mais ces interventions ne sauvent-elles pas des vies? Oui, répond le Dr Laurent Marcoux, président de l'Association médicale du Québec, mais encore faut-il qu'elles aient une réelle valeur thérapeutique.

«La coloscopie tous les deux ans [quand on n'a pas de facteur de risque particulier] pratiquée de façon routinière, c'est inutile», dit-il.

Idem pour le test Pap, qui, si l'on fait exception des personnes à risque, devrait être réservé aux femmes de 21 à 69 ans tous les trois ans.

Va pour les électrocardiogrammes si on a des antécédents personnels ou familiaux, du diabète ou d'autres risques. Sinon? Pour cet examen comme pour les radiographies, il ne faut pas tomber dans l'excès.

Qu'on soit vu dans le secteur public ou dans une clinique privée ne devrait pas avoir d'influence, poursuit le Dr Marcoux. «Ce n'est pas parce que quelqu'un a les moyens financiers d'être irradié qu'il faut y aller!»

Campagne pancanadienne

La trentaine d'associations de médecins spécialistes qui prennent part à la campagne pancanadienne (choisiravecsoin.org) ont été appelées à dresser une liste des soins ou examens les plus susceptibles d'être recommandés sans raison valable. Leurs suggestions ont ensuite été révisées par un centre universitaire torontois qui a vérifié si les recommandations en question reposaient sur de bonnes assises scientifiques.

Plusieurs facteurs expliquent le recours excessif aux soins de toutes sortes, peut-on lire dans des documents remis par l'Association médicale québécoise: la peur du litige, les campagnes massives de détection précoce, les modes de rémunération comme incitatifs de volume, la tentation de redoubler de prudence, le biais de certaines publications «qui font la promotion des nouvelles technologies et des cas rares», la dépendance à l'imagerie médicale, etc.

Par exemple, est-il encore écrit, «plusieurs personnes qui ont des maux de tête veulent subir une tomodensitométrie ou une imagerie par résonance magnétique pour savoir si leurs maux de tête sont causés par une tumeur au cerveau ou par une autre maladie grave. Les médecins acquiescent souvent à leur demande pour les rassurer. Cependant, tout ce qui est habituellement nécessaire est l'examen des antécédents familiaux et un examen neurologique».

La tendance à prescrire trop d'examens et de traitements ne date pas d'hier, précise le Dr Marcoux. À une certaine époque, dit-il, l'hystérectomie était à ce point en vogue dans certaines régions qu'on pouvait presque deviner si une femme avait encore son utérus si l'on connaissait son lieu de résidence.

Une pratique dangereuse

La nécessité de réduire les coûts de santé explique-t-elle à elle seule cette campagne contre les soins excessifs? Le Dr Marcoux répond que cela l'explique en partie, mais pas uniquement. La surabondance de tests est coûteuse, oui, mais elle peut aussi être dangereuse. Les coloscopies et les radiographies, entre autres, ne sont pas sans risque. Au surplus, la multiplication de tests peut être source d'angoisse inutile dans l'attente de résultats concluants.

En outre, les tests prescrits inutilement à certains créent des listes d'attente qui retardent le traitement d'autres personnes qui, elles, sont réellement malades.

Et les 5 milliards d'économies, sur quoi reposent-ils? Le Dr Marcoux explique que cette estimation vient d'une extrapolation faite à partir de diverses études américaines qui concluent à une économie potentielle allant de 18 à 35% en coûts de santé si l'on arrivait à limiter ces soins et examens en trop.

Certes, la médecine aux États-Unis se pratique beaucoup dans le secteur privé et notre réalité n'est pas exactement la même, dit le Dr Marcoux, mais la formation et la culture médicales occidentales sont très semblables.

Cinq gestes médicaux trop fréquents, selon l'AMQ

> 1. L'électrocardiogramme. Inutile quand on ne présente pas de facteurs de risque.

> 2. Examen d'imagerie pour les douleurs au bas du dos. Trop prescrit, cet examen serait particulièrement à proscrire pour les hommes et les femmes en âge de procréer.

> 3. Examen d'imagerie pour des maux de tête. «Plusieurs personnes qui ont des maux de tête veulent subir une tomodensitométrie ou une imagerie par résonance magnétique pour savoir si leurs maux de tête sont causés par une tumeur au cerveau ou par une autre maladie grave.»

> 4. Antibiotiques pour une sinusite. La plupart des gens n'en auraient pas besoin.

> 5. Examen de densité osseuse (DEXA). Cet examen permet parfois de dépister l'ostéoporose, mais souvent, il ne s'agit que d'une perte osseuse bénigne.