Moyennant un «membership» de 4000$ par année, des entreprises du domaine de la santé peuvent devenir des «membres affaires» de l'Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) et peuvent ainsi obtenir des «informations privilégiées», a constaté La Presse.

Selon les documents de l'AQESSS, être membre affaires «permet d'être [branché] sur un réseau de 127 établissements, 200 000 personnes et 15 milliards de dollars». «Être membre affaires de l'AQESSS, c'est multiplier les occasions d'affaires, promouvoir son entreprise, profiter d'une plus grande visibilité et développer des contacts privilégiés avec les administrateurs et gestionnaires de la santé au Québec.»

Parmi les entreprises membres affaires de l'AQESSS, on retrouve notamment Bell, SNC-Lavalin, Johnson et Johnson, CIM, McKesson et Raymond Chabot Grant Thornton.

Répertoire complet

En devenant membre affaires de l'AQESSS, ces entreprises reçoivent «le répertoire complet, les noms et les numéros de téléphone des dirigeants et des gestionnaires des différents départements des 127 établissements du réseau de la santé et des services sociaux», est-il écrit sur le site internet de l'AQESSS.

Les entreprises peuvent également participer à des «déjeuners d'affaires», où on les entretient des «dossiers de l'heure et des opportunités d'affaires». On mentionne aussi qu'ils ont accès à des «informations privilégiées».

Le directeur des affaires associatives à l'AQESSS, Alain Leclerc, explique que les «informations privilégiées» sont entre autres des analyses du budget de la santé du Québec, préparées par l'AQESSS. «On présente aussi certaines analyses et opérations», dit-il. Par exemple, l'AQESSS peut révéler combien de prothèses se vendent dans chaque région du Québec. «Mais on ne donne jamais l'information pour un établissement en particulier, dit-il. Ce sont des informations publiques. Mais on les ramasse pour nos membres.»

Remplacer les tournois de golf

Pour le vice-président de l'entreprise Logibec, Yvan Lagacé, être membre affaires de l'AQESSS, c'est participer à «un lieu d'échange d'information et d'expertise» qui permet «d'adapter ses outils pour répondre plus efficacement aux besoins du réseau de la santé». M. Lagacé assure que les entreprises ne s'achètent pas ainsi un traitement de faveur.

Président de CIM, Mario St-Cyr explique que les membres affaires se réunissent deux ou trois fois par année pour rencontrer des gens de l'AQESSS qui leur parlent notamment des «grandes orientations de l'État en santé». Les entreprises peuvent aussi obtenir certains renseignements, comme les coûts moyens de différentes opérations qui se déroulent dans les établissements de santé.

M. St-Cyr ajoute qu'il est «de plus en plus difficile de faire des contacts directs avec les clients». «Avant, les établissements organisaient des tournois de golf à des prix exorbitants. Mais de plus en plus d'hôpitaux laissent tomber ces tournois», dit-il. M. Cyr assure qu'être membre affaires de l'AQESSS ne rapporte aucun contrat. «Il n'y a plus aucun mandat qui se donne sur un coup de téléphone», assure-t-il.

Même si l'existence des membres affaires de l'AQESSS est légale, le professeur titulaire de la Chaire d'éthique appliquée de l'Université de Sherbrooke, André Lacroix, mentionne qu'il y a «un réel questionnement sur un potentiel de conflit d'intérêts». «Il y a nécessité de rester éveillé», dit-il.

L'automne dernier, l'AQESSS a organisé une journée stratégique au cours de laquelle une présentation sur la collusion a été donnée par l'Unité permanente anticorruption (UPAC). «Il se fait beaucoup d'achats dans le milieu de la santé. On a voulu rappeler le cadre légal à nos membres et les sensibiliser», explique M. Leclerc.