La jungle. Un terrain miné. Voici comment l'on décrit, dans le milieu, le marketing des produits naturels amaigrissants. Un monde capable des pires exagérations, voire des pires mensonges. Un monde où les autorités ferment les yeux. Et où la seule perte de poids garantie est celle de votre portefeuille. Voici le deuxième de trois volets de la série de Marie-Claude Malboeuf sur les produits naturels.

Santé Canada autorise régulièrement la vente de produits naturels soi-disant amaigrissants qui font l'objet de publicités exagérées ou trompeuses. Le Ministère fédéral a même donné sa bénédiction à des fabricants qui croulaient déjà sous les poursuites.

Un exemple parmi plusieurs, mis à jour dans le cadre de notre enquête: celui des comprimés «AHA Minceur». Leur fabricant SBM Giga prétend qu'ils font des miracles. «Les résultats sont rapides et spectaculaires, sans effort, indique son site web. Même si vous mangez trop, vous ne pouvez pas ne pas maigrir, pour la simple raison que cette découverte empêche l'absorption des calories.»

Aux États-Unis, c'est le genre de prétentions douteuses qui déclenchent des poursuites. Ici, elles sont chapeautées des mots suivants: «Homologué par le gouvernement du Canada». L'homologation est authentique. Le hic, c'est qu'elle autorise SBM Giga à vendre de simples «enzymes digestives» - auxquelles le ministère de la Santé ne reconnaît aucune vertu amaigrissante.

«Pourquoi donc leur permettre de baptiser leurs comprimés AHA minceur? C'est totalement absurde, ce système qui ne tient pas compte de l'emballage du produit!», dénonce Émilie Dansereau-Trahan, chargée du dossier sur les saines habitudes de vie à l'Association pour la santé publique du Québec, regroupement d'experts et d'association en santé.

SBM Giga aurait pourtant dû éveiller les soupçons des fonctionnaires. Il y a deux ans déjà, l'Office de la protection du consommateur a déposé une poursuite (toujours pendante) pour publicité mensongère, en découvrant qu'il vendait un autre prétendu produit miracle, le Slite-T, qui a aussi fini par être homologué à l'aveuglette par Santé Canada. «Sans rien changer à vos habitudes alimentaires, sans avoir faim et sans efforts, vous mincirez», affirme toujours le site du fabricant.

Soi-disant «brûle-graisse»

Autre incohérence: Santé Canada a autorisé la mise en marché de plus d'une douzaine de soi-disant «brûle-graisse» (comme Alinéa Brûler les graisses - Jour et nuit, Ultimate Fat Burner et Slimquick Fatburner).

Le Ministère affirme pourtant qu'aucun fabricant n'a su le convaincre qu'un de ses produits permettait de perdre du poids (au mieux, ils peuvent prétendre être utiles à la «gestion du poids» chez les gens qui s'efforcent déjà de brûler des calories en bougeant et en se mettant au régime).

Cette appellation est permise quand un produit «a la capacité d'augmenter le taux métabolique au repos», justifie Santé Canada dans un courriel. Tout en répétant: «Cependant, il n'existe aucune preuve que cet effet entraîne une perte de poids.»

La nouvelle fait bondir la vingtaine d'experts en santé interviewés pour ce reportage. «C'est une absurdité! Aucun produit ne brûle les graisses. Les instances gouvernementales ne se tiennent pas debout», s'indigne le cardiologue Paul Poirier, expert en obésité à l'Université Laval.

«Comme entreprise qui se respecte, on ne lancera jamais un produit pareil, parce que ça n'existe pas!», renchérit Christian Gauvin, directeur général de Wampole, l'un des deux plus grands vendeurs de produits amaigrissants au Québec depuis son rachat des Produits Leblanc (qui ont fait faillite en 2011).

«Des problèmes de conformité, on en voit tous les jours dans le monde merveilleux de la gestion du poids, reconnaît-il. Certaines sociétés étirent la sauce, parce que c'est un segment hyper compétitif. Et personne ne fait vraiment la police.»

Le site web de Leblanc recèle lui-même des allégations non autorisées par Santé Canada. La description de son produit vedette, Controlex Plus, ressemble par exemple à celle d'un «brûle-graisse». «Faites fondre ce surplus de poids tenace en oubliant les régimes sévères [...] Perte de poids rapide», dit le site, qui reproduit en prime le témoignage anonyme d'un client disant avoir perdu 17 livres en 30 jours. M. Gauvin affirme que la situation sera corrigée au printemps, avec la refonte du site, créé avant le rachat par Wampole, et souligne que l'emballage de ControlexPlus respecte déjà les normes. Ils jurent par ailleurs que les témoignages rapportés sont authentiques.

En 2011, l'Association de la santé publique a dénoncé les exagérations publicitaires à la ministre fédérale de la Santé. «Ne pas [les] punir entraîne un danger majeur pour la santé publique», prévenait déjà, deux ans plus tôt, le Journal de l'Association médicale canadienne.

Qu'ont fait les inspecteurs à ce sujet? Le Ministère ne répond pas, se contentant de dire: Santé Canada «peut» intervenir lorsqu'un message publicitaire présente un «risque important» pour la santé. Impossible de savoir s'il a bel et bien sévi en suspendant une homologation, en interrompant la vente d'un produit ou en le confisquant.

«Santé Canada dépassé»

«Santé Canada est dépassé et a abandonné la partie», dénonce Joel Lexchin, professeur de politique de santé à l'Université York.

Devant le chaos, l'Institut national de santé publique du Québec recommande en vain depuis cinq ans la création d'un bureau de surveillance des produits, services et moyens amaigrissants. «Le problème allait en se détériorant et les victimes ne savaient pas à qui s'adresser. On voulait au moins centraliser les plaintes, mais ça ne s'est pas fait», indique Marie-Claude Paquette, auteure principale de l'avis scientifique publié en 2008.

En attendant, les délinquants ont beau jeu. Car les victimes, honteuses, se plaignent rarement. Et les poursuites coûtent trop cher. «Même si les allégations fausses sont interdites par la loi, c'est à nous de démontrer qu'elles ne reposent sur aucune étude valide. Il ne suffit pas de le dire. Ça prend des expertises scientifiques», explique Jean-Jacques Préaux, porte-parole de l'Office de la protection du consommateur (OPC).

Frontière étanche

Aux États-Unis, la Federal Trade Commission (FTC) a plus de mordant et a imposé, en janvier, 30 millions de dollars d'amendes à trois fabricants de produits minceur dans le cadre de son opération Failed Resolution. Par courriel, Santé Canada dit suivre ce que les autorités réglementaires décident ailleurs. Le Ministère ne tient pourtant pas compte des scandales retentissants.

En 2004, la FTC a imposé 3 millions de dollars d'amende à Basic Research pour des mensonges éhontés au sujet de six pseudo-produits amaigrissants - dont le PediaLean, hors de prix, qui était destiné aux enfants.

L'entreprise a continué ses activités. Elle a pareillement ignoré deux poursuites additionnelles, déposées en 2006 et en 2009 au sujet des comprimés «amaigrissants» Relacore et Akävar 20/50. La FTC voulait mettre fin à son cortège de prétentions qualifiées de «bidon et sans fondement». Des prétentions si exagérées que les clients lésés ont obtenu 3,5 millions après avoir intenté un recours collectif pour fraude.

À la fin de 2012 et au début de 2013, Santé Canada a néanmoins autorisé la vente d'Akävar 20/50 et de Relacore.

Au moins, sont-ils efficaces?

Association médicale canadienne

«Les preuves sont insuffisantes pour recommander ou déconseiller l'usage d'herbes, de produits naturels ou homéopathiques pour aider les obèses à gérer leur poids», conclut un survol de la littérature portant sur 10 substances qui a été publié en 2007 dans le Journal de l'Association.

Ordre des diététistes du Québec

«Dans notre formation, on s'intéresse aux aliments et aux habitudes alimentaires. On n'apprend pas à utiliser ces produits-là, dont l'efficacité n'est pas prouvée scientifiquement. Notre code de déontologie nous interdit d'induire le public en erreur, ce qui inclut leur proposer des produits inefficaces», dit en entrevue la présidente de l'Ordre, Anne Gagné.

Santé Canada

À ce jour, aucun fabricant n'a obtenu le droit d'affirmer que son produit permet de perdre du poids, car aucun n'est parvenu à convaincre Santé Canada qu'une telle chose (définie comme une baisse d'an moins 5 % en 12 mois) était possible. Au mieux, ils peuvent prétendre être utiles à la «gestion du poids» dans certains cas. Sur son site, le Ministère précise: «Dans des circonstances idéales, certains de ces produits de santé naturels peuvent être sécuritaires et efficaces s'ils font partie d'un programme de gestion du poids axé sur une alimentation hypocalorique et l'activité physique.»

International Journal of Sport Nutrition and Exercise, 2012

D'après une revue des études portant sur les produits amaigrissants, aucune preuve solide ne démontre qu'ils entraînent une perte de poids significative, encore moins à long terme. Certains produits peuvent prévenir une prise de poids ou favoriser une perte de poids de moins de deux kilos chez les «gens qui se prennent en main et mangent bien et font de l'exercice» (Collège de santé publique, Université d'État de l'Oregon).

International Congress on Obesity, Stockholm, Suède, 2010

Une véritable étude clinique portant sur neuf substances naturelles amaigrissantes bien connues a conclu qu'elles n'étaient pas plus efficaces qu'un placebo (Institut sur la nutrition et la psychologie, École de médecine de l'Université de Göttingen, Allemagne).

D'après le premier survol exhaustif de toutes les autres revues et études sur les produits naturels amaigrissants (dévoilé au même congrès), «il n'existe pas de preuve indiquant que ces produits représentent un traitement adéquat pour perdre du poids» (École de médecine Peninsula des universités d'Exeter et de Plymouth, en Grande-Bretagne).

Des exemples

Pour apprendre à se méfier des stratégies de marketing typiques, consulter le site du groupe Équilibre, qui veut prévenir et diminuer les problèmes reliés au poids et à l'image corporelle dans la population. L'Association pour la santé publique du Québec travaille par ailleurs à la rédaction d'un guide sur la façon de porter plainte contre la publicité trompeuse. Le guide devrait être publié en avril prochain.

INTERNAL FLUSH

Prétention:

Le site web canadien de ce simple laxatif dit «Flush the Fat» (expulser la graisse). Le fabricant Integrity Health Group présente son produit comme la première étape vers la perte de poids, en disant qu'il élimine les toxines. Le site affirme aussi qu'Internal Flush n'a jamais causé de blessures.

Réalité: 

Un simple laxatif est incapable d'expulser la graisse. Ce à quoi le directeur de l'entreprise, Michael Roccolo, répond: «Me dites-vous qu'il n'y a aucun gras dans les excréments?» Quant à l'innocuité du produit, d'après la base de données de Santé Canada, au moins trois Canadiens ont signalé avoir eu de graves ennuis de santé peu après l'avoir utilisé ou avoir utilisé sa formulation pour hommes (retirée du marché depuis): ulcère gastrique perforé, déséquilibre électrolytique, problèmes cardiaques et réaction allergique quasi mortelle. M. Roccolo affirme n'en avoir jamais été informé par Santé Canada et ajoute que s'il l'avait été, il aurait corrigé sa publicité. Une semaine plus tard, ce n'était toujours pas fait.

SVELTYSS (SBM-GIGA)

Prétention:

Le site web indique: «Sveltyss vous permet d'obtenir obligatoirement tout ce que vous êtes en droit d'exiger: perdre très vite du poids, du ventre et l'excès de graisse, faire fondre les kilos [...]. Tout ceci sans avoir à faire d'efforts, ni à subir de contraintes particulières».

Réalité:

Entre 2009 et 2012, le fabricant a réussi à faire homologuer 12 produits naturels - dont 4 pseudo- produits minceur - par Santé Canada. Mais le Ministère autorise Sveltyss comme simples «enzymes digestives» et «source d'antioxydants». Pour avoir fait le même genre de promesses exagérées au sujet du Slite-T, SBM-Giga a été poursuivi pour publicité trompeuse. L'actionnaire Gabriella Cohen se défend en disant s'être fiée au Dr. Oz Show, l'émission controversée d'un chirurgien américain. «Mais notre site web va être fermé, on va faire faillite», dit-elle.

SILHOUETTE CIBLÉE, BAS DU CORPS (DISTRIBUTIONS SANTÉ LEBLANC)

Prétention:

Le site web indique: «Maigrissez précisément où vous le souhaitez!» «Créé spécialement pour cibler la perte de poids et la perte centimétrique au niveau de la taille, des hanches et des cuisses.» Un témoignage fait état d'une perte de 7 cm de hanches en deux semaines.

Réalité:

Maigrir de façon localisée est impossible, tranchent tous les experts en obésité. En 2011, le fabricant de My Silhouette de Nivea a été puni par le Tribunal de la concurrence, pour des prétentions similaires (on parlait d'une perte de 3 cm). Santé Canada autorise ce produit «comme astringent pour aider à soulager les symptômes liés aux varices telles que la lourdeur et la douleur aux jambes». Joint par La Presse, le fabricant affirme que la situation sera corrigée ce printemps, avec la refonte du site des Produits Leblanc, qui ont été rachetés par Wampole après leur faillite.

Les dépenses

Selon Santé Canada, «la vente de produits amaigrissants croît au même rythme que l'obésité», qui ne cesse d'augmenter depuis 25 ans.

Qui est trop gros?

Épidémie mondiale, l'excès de poids touche près de deux Québécois sur trois, soit 59% d'entre eux.