Quand ils regardent leur poupon, amputé des orteils à la suite d'une déshydratation grave à moins d'un mois de vie, Marie-Hélène Pelletier et Sébastien Routhier se demandent si la visite à domicile d'une infirmière aurait pu changer le cours des choses.

Depuis le début du mois de novembre, les parents sont à l'hôpital avec leur bébé. Les yeux pétillants et les premiers sourires du petit Benjamin leur donnent l'espoir et l'énergie pour continuer.

«Si notre histoire peut aider ne serait-ce qu'une maman, qu'un enfant ou sensibiliser les intervenants, ça nous aidera à accepter l'inacceptable», lance Mme Pelletier.

Benjamin est né le 26 octobre. La grossesse s'est déroulée sans complication, l'accouchement aussi. Les heureux parents sont revenus à la maison 48 heures après la naissance du poupon.

Benjamin a un frère, Samuel, qui aura quatre ans dans quelques jours. Une infirmière du CLSC a appelé à la maison dans les premiers jours et posé plusieurs questions d'usage afin de s'assurer que tout se passait bien.

Marie-Hélène Pelletier allaitait son fils. Il semblait bien boire et mouillait ses couches régulièrement. «Quand j'ai demandé à l'infirmière si elle allait venir à la maison peser Benjamin, comme c'était le cas avec son frère aîné, elle m'a dit que les procédures administratives avaient changé.»

L'infirmière a plutôt donné rendez-vous au couple au 12e jour de vie de Benjamin, à la clinique d'allaitement. La nuit précédant la visite, l'allaitement s'est compliqué, du muguet s'est développé.

À la clinique, Benjamin semblait en forme. Pourtant, la pesée a révélé qu'il avait perdu un kilo, soit 28% de son poids initial. Il était complètement déshydraté, la situation était urgente.

Les parents se sont rendus à l'hôpital en catastrophe. À leur arrivée, l'un des pieds de Benjamin était bleuté. Il faisait une thrombose.

«Le cauchemar a commencé», relate la mère. Pendant des jours, les parents ont veillé Benjamin aux soins intensifs, sans savoir s'il allait survivre ou s'il allait avoir des séquelles physiques et intellectuelles.

Le verdict est finalement tombé: Benjamin devrait être amputé de cinq orteils. «Là, on a compris qu'on ne reviendrait pas à la maison sans séquelles», se souvient Mme Pelletier.

Depuis ce jour fatidique du 7 novembre, les parents se relaient pour dormir à l'hôpital et veiller sur leur aîné qui est à la maison. Ils vivent dans l'angoisse.

Le pied de Benjamin a été amputé un peu plus que prévu, mais il semble qu'il pourra marcher. Il vient de subir une nouvelle opération, pour une greffe de peau, et la famille est dans l'attente de voir si tout guérira bien.

Le couple veut que son histoire serve à d'autres et sensibilise les dirigeants du réseau de la santé. «On fait beaucoup la promotion de l'allaitement, et c'est super. Mais quand ça ne va pas, on ne le sait pas toujours. Nous, on a observé tous les signes prescrits de déshydratation et il n'y avait rien. Jusqu'à ce qu'il soit trop tard», explique Mme Pelletier.

Réduction des services à domicile

Personne ne le saura jamais, puisque l'état de santé d'un poupon peut se dégrader en quelques heures à peine, mais les parents sont d'avis qu'une visite à domicile aurait peut-être pu éviter cette situation catastrophique.

Faute de budget et de ressources suffisantes, plusieurs centres de santé et de services sociaux ont dû restreindre le nombre de visites à domicile au cours de la dernière année.

Toutes les familles qui ont un premier enfant reçoivent la visite d'une infirmière dans les 72 heures suivant le retour à la maison. Parfois, les infirmières y retournent même une deuxième fois.

Mais plusieurs CSSS qui enregistrent une croissance des naissances sur leur territoire ont modifié la procédure pour les familles dont c'est le deuxième ou troisième enfant.

L'infirmière fait un suivi téléphonique et évalue la situation à l'aide d'un questionnaire. Si tout semble bien aller, il n'y a pas de visite à domicile. C'est le cas pour environ 50% des naissances.

Les parents sont plutôt invités dans les jours suivants à se présenter à la clinique du nouveau-né pour la pesée du bébé. La politique ministérielle prévoit pourtant une visite systématiquement dans toutes les familles.

«C'est très souhaitable qu'il y ait une visite au domicile pour chacun des enfants. C'est un monde idéal. Toutefois, on est conscient qu'il y a des CSSS qui ne sont pas capables de le faire», reconnaît la porte-parole de l'Agence de la  santé et des services sociaux de Montréal, Lise Chabot.

Au cours de la dernière année, l'Agence a augmenté le budget des CSSS qui ont connu une hausse de 5% des naissances sur leur territoire, mais ce n'est pas suffisant. Sur certains territoires, on compte 2500 naissances annuellement pour seulement 5 infirmières en périnatalité.