Depuis le mois de janvier, des centaines de propriétaires de ressources intermédiaires, qui s'occupent de personnes gravement handicapées ou souffrant de troubles de comportement sévères, voient leurs revenus diminuer de façon draconienne et vivent sous la menace constante de perdre encore plus d'argent. Une situation intenable, à un point tel que plusieurs d'entre eux envisagent de mettre la clé sous la porte.

«Cette année, je subis une baisse de salaire de 72 000$! Et je dois essayer de continuer d'offrir la même qualité de services avec ça! Ça n'a pas de bon sens!», lance Mathieu, qui s'occupe, à Montréal, de cinq personnes aux prises avec des handicaps intellectuels lourds ou des troubles graves de comportement.

Ces baisses de revenus sont attribuables aux nouvelles ententes signées entre les ressources intermédiaires, les ressources de type familial (RTF) et le gouvernement au cours des derniers mois. Les RTF, qui accueillent une clientèle moins lourde, sont sorties grandes gagnantes de ces ententes. La majorité verra sa rétribution augmenter, ou du moins se maintenir.

«Mais on savait que l'entente désavantagerait beaucoup de ressources intermédiaires», reconnaît le négociateur du RESSAQ-CSD, Éric Gagnon, qui a été le dernier à signer l'entente avec le gouvernement, en juin dernier.

Le RESSAQ-CSD représente environ 2000 RTF et 700 ressources intermédiaires du Québec. «Presque toutes les ressources intermédiaires ont voté contre l'entente. Plusieurs sont frustrées aujourd'hui», reconnaît M. Gagnon.

Les compressions sont importantes. Steven Smith, qui gère une ressource intermédiaire à Pierrefonds depuis sept ans, voit ses rétributions baisser de 84 000$ par année. «On essaie d'économiser sur le dos des plus démunis de la société: nos clients», déplore-t-il.

La porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Marie-Claude Lacasse, mentionne que 7533 des 8513 ressources intermédiaires et RTF de la province ont vu leurs revenus augmenter depuis la signature des ententes. «Et pour ceux qui subissent une baisse, on ne parle pas vraiment de baisse, puisqu'une compensation sera versée jusqu'en 2015», dit-elle.

En effet, pour éviter des «chocs économiques», Québec a accepté de verser des «compensations» aux ressources intermédiaires jusqu'au 31 décembre 2015. Ce n'est qu'après cette date que les coupes seront totalement appliquées.

«Mais déjà, on subit des baisses. Je ne pense pas me rendre jusqu'en 2015», estime Gilles Plante, qui tient deux ressources intermédiaires à Saint-Jérôme depuis 31 ans.

Clients sous-évalués

En plus des coupes salariales, les propriétaires de ressources intermédiaires critiquent sévèrement la nouvelle grille d'évaluation des patients imposée par le gouvernement.

«Dans la nouvelle grille, les problèmes de comportement ne valent presque plus rien. Un client qui recevait 100$ par jour l'an dernier n'en reçoit plus que 66$! Comme si cette clientèle était soudainement devenue facile à gérer. Je passe ma vie à aller à des réunions pour ces clients, à des rendez-vous à l'hôpital... C'est comme si le gouvernement ne voulait plus de ressources pour s'occuper de ces gens-là», critique Mathieu.

Déjà, des ressources intermédiaires ont cessé leurs activités. Mais le MSSS ne dispose pas de statistiques à ce sujet. «Juste dans ma région, 25 des 77 ressources intermédiaires touchées par les coupures ont fermé leurs portes. Qui protège cette clientèle contre le système?», demande Pierre Hébert, qui s'occupe depuis 13 ans de personnes lourdement handicapées dans le Centre-du-Québec.

Salaire aléatoire

Comme si la situation n'était pas déjà assez frustrante, depuis le mois de janvier, les paiements versés chaque mois aux ressources intermédiaires n'ont cessé de fluctuer.

Par exemple, dans le cas de Mathieu, 1200$ ont été retranchés de son paiement du mois passé. Puis 4500$ ce mois-ci. «On ne parle pas de peanuts, ici! Et quand on demande des explications, on n'en a pas!»

«J'ai perdu 8000$ en deux mois, sans explications. Je travaille 24 heures sur 24, Sept jours sur sept. On n'a aucune reconnaissance du gouvernement. Et il y a une véritable panique dans le milieu», déplore Anna Munari, qui s'occupe depuis neuf ans de personnes souffrant de déficience intellectuelle et physique sévère à Deux-Montagnes.

Les ressources intermédiaires sont toutes sous la gouverne des centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (CRDITED). Monique Nadeau, conseillère aux affaires professionnelles de la Fédération québécoise des CRDITED, reconnaît qu'il y a beaucoup de préoccupations dans les ressources intermédiaires. «Pour les 10% de ressources qui voient leur rétribution diminuer, on a deux ans pour trouver des solutions», dit-elle.

Les nombreux changements dans les rétributions versées depuis janvier s'expliquent, selon elle, par une série de changements aux règlements. Mme Nadeau reconnaît toutefois que «certains systèmes informatiques» des CRDI ont «eu besoin d'ajustement». Des rencontres sont en cours pour tenter d'offrir des explications.

«Mais vraiment, ce qu'il faut retenir, c'est que notre travail n'est pas reconnu», dénonce Gilles Plante.