Peau nécrosée, mangée, ravagée. Espérance de vie réduite à quelques années à peine. La drogue Krokodil fait des ravages en Russie et semble avoir fait son entrée aux États-Unis. De l'autre côté de la frontière, les autorités canadiennes suivent la situation de près.

Pour l'heure, il ne semble toutefois pas y avoir eu de cas au Québec. Plusieurs spécialistes en toxicomanie sont d'ailleurs d'avis que le Krokodil n'arrivera pas jusqu'ici, du moins de façon généralisée.

« Les impacts de cette drogue sont effrayants. Elle réduit l'espérance de vie à un an ou deux. Les gens ont très peur », explique la Dre Marie-Ève Morin, spécialiste en dépendance et en santé mentale à la clinique OPUS, à Montréal.

La Dre Morin parle depuis quelques années de cette drogue dans les conférences qu'elle donne. « Ça fait deux ans qu'on a cette drogue à l'oeil », affirme-t-elle.

Mais le Krokodil est un choix de dernier recours, quand les toxicomanes n'ont pas accès à l'héroïne ou aux opiacés d'ordonnance. C'est ce qui se produit en Russie, où le Krokodil fait des ravages depuis quelques années.

« La première raison faisant en sorte que les gens choisissent le Krokodil, c'est parce que les autres opiacés sont difficiles d'accès. Ici, c'est plus facile [voir autre texte] », explique le Dr Matthew Young, analyste principal en recherche et en politiques au Centre canadien de lutte contre les toxicomanies (CCLT).

« Ce n'est pas une drogue de premier choix. C'est le quatrième ou le cinquième choix quand il n'y a rien d'autre », croit le Dr Young.

Marc-André Sirois, infirmier bachelier clinique et de liaison à la clinique Cormier Lafontaine, amène toutefois un autre son de cloche. Le professionnel, qui travaille directement sur le terrain auprès de toxicomanes de Montréal, se montre inquiet.

« Ce qui me fait peur, ce qui m'inquiète, c'est de savoir que les opiacés sont de plus en plus rares sur le marché noir depuis quelque temps », affirme M. Sirois.

Il craint que des usagers se tournent vers la codéine en vente libre et soient tentés de multiplier les doses pour faire du Krokodil. Mais comme ces antidouleurs contiennent aussi de l'acétaminophène ou de l'aspirine et qu'il faut multiplier les doses, « ce serait un véritable fléau », affirme-t-il.

Des cas en Ontario ?

Des travailleurs de rue du sud de l'Ontario ont par ailleurs rapporté quelques cas de toxicomanes dont l'état de santé pouvait ressembler à celui des consommateurs du Krokodil.

« Nous n'avons aucun cas confirmé à Niagara », a assuré à La Presse le sergent-détective Terry Thomson, de l'unité des drogues sur ordonnance du service de police de Niagara. M. Thomson a précisé que certaines lésions physiques détectées chez des utilisateurs des centres d'injection semblent plutôt résulter d'un mélange dans l'héroïne.

Aux États-Unis, des médecins ont récemment rapporté des symptômes suspects chez des patients de l'Illinois, de l'Arizona et de l'Oklahoma. Leur peau nécrosée donnait à penser que le Krokodil avait fait son oeuvre.

L'autorité fédérale en la matière, la Drug Enforcement Agency, a toutefois réfuté les affirmations en indiquant ne pas être au fait que la drogue aurait fait son entrée en sol américain.

« Que des gens présentent des lésions cutanées qui ressemblent à celles des utilisateurs de Krokodil, c'est une chose, mais de pouvoir affirmer que c'est de la désomorphine, c'en est une autre », explique le Dr René Blais, directeur médical du Centre antipoison du Québec.

De rares saisies ?

Généralement, ce sont les saisies qui permettent aux corps policiers de détecter de nouvelles drogues en circulation. Mais avec le Krokodil, les saisies pourraient se faire rares.

Il faudrait plutôt que les policiers prennent sur le fait des toxicomanes en train de fabriquer la drogue avant de se l'injecter, au cours de descentes dans des maisons, par exemple.

L'alerte pourrait donc être donnée par les médecins. « Il n'y a pas de cas connus au Québec », affirme la caporale Magdala Turpin, de la Gendarmie royale du Canada (GRC). « On garde l'oeil ouvert, car tout est possible. [...] Si ça vient dans les hôpitaux et les urgences, si ça cause des ravages ou des morts, on va en entendre parler. »

Une biopsie pratiquée sur un patient qui se présente aux urgences et qui semble victime du Krokodil permettrait de déterminer avec plus de certitude la présence de cette drogue.

« On trouverait sans doute de la désomorphine, mais aussi de l'iode et du phosphore. Même si on ne trouvait pas de molécule de désomorphine, s'il y avait tous les autres ingrédients, on saurait alors que la drogue est arrivée chez nous », avance le Dr René Blais, du Centre antipoison.

Le printemps dernier, un patient s'est présenté dans un hôpital de Montréal avec une réaction cutanée étrange qui aurait pu laisser penser aux conséquences du Krokodil, ajoute-t-il. Rien n'a toutefois été confirmé puisqu'aucune biopsie ne semble avoir été faite. Il a été impossible d'obtenir plus de détails sur ce cas suspect.

Le Krokodil

C'est en fait de la désomorphine, soit des comprimés antidouleur à base de codéine. Les utilisateurs y ajoutent un mélange d'iode, de phosphore, de liquide à briquet et d'autres produits toxiques. Le cocktail qui en résulte est instable. Les toxicomanes doivent s'injecter la drogue rapidement. Le Krokodil est beaucoup plus puissant que l'héroïne, mais les effets durent trois fois moins longtemps, si bien que les utilisateurs s'en injectent plusieurs fois par jour. L'espérance de vie diminue de façon draconienne.

Ses conséquences

Les effets sont dévastateurs, comme si la drogue « mangeait » la chair. À l'endroit de l'injection, la peau devient nécrosée, épaisse et verdâtre, comme celle du crocodile, d'où le nom donné à cette drogue. Dans le corps, le mélange de produits s'attaque à tout le système. La gangrène peut s'y mettre, le système nerveux est attaqué, les usagers contractent des troubles moteurs et des troubles du langage, le sang circule mal. Les usagers meurent d'une septicémie (infection du sang) ou d'un dysfonctionnement des organes internes. En Russie, où la codéine est en vente libre et beaucoup moins chère que l'héroïne ou les autres opiacés, le Krokodil a fait des ravages au cours des dernières années.