« Au gramme, les médicaments sont le bien le plus précieux après les pierres précieuses. »

Du point de vue d'un criminel sans scrupules, fabriquer de faux médicaments est donc une excellente affaire, constate la présidente de l'Ordre des pharmaciens, Diane Lamarre.

Même quand on falsifie un remède banal, la marge de profits s'avère « incroyable », confirme Patrick Scott, gestionnaire du programme des enquêtes criminelles à l'Agence canadienne des services frontaliers.

Dans un dossier de la douane, un contrebandier montréalais payait 6 cents le comprimé chinois et revendait le tout 3 $ l'unité, dans des boutiques de produits érotiques.

Les risques, quant à eux, sont faibles. « La peine est la même, qu'on fabrique un t-shirt de contrefaçon ou un faux médicament qui peut tuer », s'étonne le caporal Luc Chicoine, de la GRC.

« C'est très difficile de faire notre job comme il faut avec les lois actuelles. Les peines sont bien moindres que pour l'importation d'héroïne, alors que c'est plus payant. »

Poursuites difficiles

L'an dernier, des agents de Vancouver ont saisi quatre sacs Louis Vuitton bourrés de 18 000 comprimés. Les sacs étaient faux. Les comprimés aussi.

Mais la GRC n'a jamais pu accuser la destinataire montréalaise. « Il faut prouver qui était derrière le clavier au moment de la commande. C'est très difficile », expose le caporal Hubert Savoie, spécialiste des enquêtes sur les médicaments contrefaits.

Même quand la preuve est béton, les peines de prison sont rarissimes. « Je n'en ai encore jamais vu pour des médicaments entrés en contrebande, même si, selon la Loi sur les douanes, cela pourrait aller jusqu'à cinq ans », indique Patrick Scott.

Les importateurs et les vendeurs de médicaments illégaux peuvent aussi être poursuivis en fonction de la Loi sur les aliments et drogues (et pour certains médicaments comme le Valium, en vertu de la Loi sur les drogues et autres substances).

« La peine maximale est de trois ans de prison, mais je n'ai jamais entendu parler de quelqu'un qui y serait allé ne serait-ce que trois minutes », s'indigne Amir Attaran, professeur aux facultés de droit et de médecine de l'Université d'Ottawa.

À Edmonton, un homme a importé des milliers de comprimés de faux Viagra et s'en est tiré avec une amende de quelques milliers de dollars, illustre-t-il. « Pour lui, c'est le coût des affaires, le prix d'un permis ! », ironise M. Attaran.

« Parmi ceux qu'on a arrêtés, certains ont sûrement continué », confirme le caporal Hubert Savoie.

Les coupes draconiennes dans toute la fonction publique fédérale - y compris à la GRC - rendent les poursuites plus difficiles encore. On manque d'enquêteurs. Et de coordination. « Des Canadiens ont déjà réalisé après quatre ou cinq mois que leurs médicaments ne faisaient pas effet. Mais quand Santé Canada découvre qu'ils ne contenaient pas d'ingrédient actif, il ne le rapporte même pas à la police, sous prétexte que c'est de l'information privée. Alors on ne peut pas enquêter », déplore le caporal Luc Chicoine.

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La peine de mort en Chine

Partout, des pays durcissent leurs lois pour lutter contre le trafic de médicaments. En Chine, principal repaire des faussaires, on leur impose désormais la peine de mort.

Au Brésil, plus de 200 femmes sont tombées enceintes en 1998, après avoir pris des anticonceptionnels qui ne contenaient que de la farine. Depuis, la falsification de médicaments y est punie aussi sévèrement que l'enlèvement et le terrorisme.

Principale victime des contrefacteurs - avec 11 millions de doses falsifiées annuellement - , la multinationale Pfizer a mis sur pied une équipe mondiale d'enquêteurs.

« C'est un crime difficile à juguler, parce que le consommateur est dans un pays, le criminel dans un autre et l'usine est encore ailleurs, expose le chef de la sécurité, John Clark. Notre avantage comme entreprise, c'est qu'on est présent partout dans le monde. »

Punir les criminels demeure toutefois un casse-tête. « À certains endroits, le trafic de médicaments n'est pas considéré comme une infraction. Ailleurs, ce l'est, mais on n'applique pas la loi », dit M. Clark.