Pour obtenir des contrats d'approvisionnement dans les hôpitaux du Québec, les sociétés de fournitures médicales versent des ristournes allant de 1% à 4% du montant total des contrats, a appris La Presse. Une situation qui tombe dans une zone grise de la règlementation.

«La façon d'obtenir des contrats en santé, c'est de verser des ristournes», explique le propriétaire d'une entreprise de distribution qui livre des fournitures médicales, comme des gants, des seringues et des pansements, dans les hôpitaux de la province.

La Presse a interrogé six fournisseurs et distributeurs de matériel médical qui oeuvrent au Québec. Ils sont unanimes: les ristournes sont «la clé» pour obtenir des contrats en santé.

«La ristourne tourne autour de 1% à 4% du prix total du contrat. Il faut la payer soit directement au département des finances des hôpitaux, soit aux fondations», affirme le directeur général d'une entreprise de la région de Montréal.

Les sommes versées sont affublées de différents titres pour figurer dans les états financiers des hôpitaux. Les ristournes peuvent par exemple être appelées «programme de partenariat» ou «aide à l'éducation». «Mais la vérité, c'est qu'on ne sait pas où va cet argent», mentionne une entreprise.

Au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), on confirme l'existence de telles ristournes. «Les sommes sont versées pour diminuer le prix du contrat en question», assure la porte-parole de l'établissement, Sylvie Robitaille.

Chez Sigma santé, la coopé-rative qui achète toutes les fournitures médicales pour la grande région de Montréal, on confirme recevoir des ristournes. Mais puisque Sigma Santé est un organisme sans but lucratif, on retourne les ristournes aux établissements.

Détourner les appels d'offres

La situation est-elle légale? Le Conseil du Trésor se contente de répondre que «la règlementation actuelle ne prévoit pas ce genre d'arrangement contractuel entre un fournisseur et un organisme public.»

Même son de cloche du côté du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), qui enjoint les établissements de son réseau à respecter les lois et règlements en vigueur.

«Dans l'éventualité où un établissement exigerait une ristourne à être versée dans son propre budget d'exploitation, il se devrait de respecter les règles budgétaires contrôlant l'utilisation de cet argent», dit le MSSS, qui ajoute que le fait de demander qu'une ristourne soit versée à un tiers, comme une fondation, n'est pas acceptable.

La porte-parole de la Coalition avenir Québec, Hélène Danault, estime quant à elle que les ristournes sont «illégales» et «nuisent à la saine concurrence».

«Ça favorise les grosses compagnies au détriment des plus petites», indique Mme Danault, qui demande au gouvernement d'agir.

Les fournisseurs contactés par La Presse confirment que le jeu des ristournes a des effets importants sur les appels d'offres. Un directeur raconte qu'on lui a déjà refusé un contrat, car une firme concurrente menaçait de retirer sa ristourne dans un autre dossier. «C'est du chantage. Mais ça arrive tout le temps», confirme un autre fournisseur.

Gros joueurs favorisés

Les entreprises interrogées estiment aussi qu'il est vrai que les gros joueurs de l'industrie sont favorisés. Elles estiment notamment que la multinationale Cardinal Health, qui contrôle une bonne part du secteur des approvisionnements au Québec, a beaucoup de pouvoir grâce aux importantes ristournes que l'entreprise peut verser.

«J'ai déjà soumissionné en bas du cost pour un contrat. Mais Cardinal l'a eu parce qu'elle peut verser d'importantes ristournes», raconte un distributeur.

Cardinal Health est une entreprise américaine basée en Ohio, dont le chiffre d'affaires dépasse les 100 milliards. Cardinal Health est à la fois fournisseur et distributeur de fournitures médicales au Québec. La société n'a pas rappelé La Presse.

«Je sais que les hôpitaux ont de la difficulté à boucler leurs budgets. Mais ce n'est pas une façon de faire. Le ministère de la Santé est au courant de la situation et doit faire quelque chose», estime un fournisseur.

Dans un rapport publié en 2007-2008, le Vérificateur général du Québec s'était attardé à la façon dont sont attribués les contrats de fournitures dans les hôpitaux. L'une des conclusions était que 60% des contrats en fournitures n'avaient pas été traités «de façon à favoriser la saine concurrence, la transparence et l'économie». Aucune mention des ristournes n'était toutefois faite.