Pour la huitième année, La Presse publie son palmarès des urgences. Chaque fois, le Québec obtient la même note: C. Mais la réalité est plus sombre, car après une légère diminution l'an dernier, le temps qu'un patient passe à attendre en moyenne sur une civière a augmenté de nouveau cette année. Il atteint aujourd'hui 17h30 min, soit une heure et demie de plus qu'à la publication de notre premier palmarès.

Les urgences du Québec souffrent d'un mal chronique. Malgré les promesses et les efforts, plus de 1 million de patients ont dû attendre en moyenne 17 heures 30 minutes sur une civière aux urgences dans la dernière année.

À Montréal, l'attente est encore plus longue et n'a pas baissé d'une seule minute depuis l'an dernier. Les malades doivent poireauter en moyenne près de 21 heures sur une civière dans les couloirs des urgences avant d'obtenir une chambre d'hôpital, une place dans une autre ressource du système de santé ou de retourner à la maison.

C'est très loin de la cible de 12 heures du ministère de la Santé, le standard jugé médicalement acceptable. Seulement 27 des 85 hôpitaux évalués dans notre palmarès atteignent cette cible, et il s'agit dans presque tous les cas d'hôpitaux de campagne.

Le Québec peine tant à faire des progrès que les images de patients sur des civières alignées dans les couloirs des urgences sont devenues la norme.

«Ça n'a pas de sens qu'on tolère ça», remarque le Dr Bernard Mathieu, président de l'Association des médecins d'urgence du Québec (AMUQ). «Lorsqu'on se retrouve sur une civière, incapable de se lever pour aller aux toilettes, à faire ses besoins dans le corridor, la dignité humaine, oubliez ça! Mais c'est notre quotidien, aux urgences. On ferme les yeux là-dessus parce que c'est devenu habituel, mais c'est totalement dégradant.»

D'un couloir à l'autre

Le nouveau ministre de la Santé, Réjean Hébert, mise sur une nouvelle mesure pour soulager la situation: les protocoles de «surcapacité».

Longtemps réclamée par l'AMUQ et le Dr Mathieu, cette mesure permet, lorsque les urgences débordent, de transférer des patients dans les couloirs d'autres unités et même dans ceux des CHSLD. L'idée est de répartir la responsabilité entre tous les acteurs du système de santé au lieu d'en faire porter tout le poids aux urgences.

«La gestion n'est pas toujours proactive quand on n'a pas de patients qui attendent sous son nez, quand c'est le problème de quelqu'un d'autre», explique le Dr Mathieu.

Des hôpitaux de l'Alberta et de la Colombie-Britannique sont parvenus à faire chuter l'attente de 30% grâce à un tel protocole, explique-t-il. «Aux États-Unis, ajoute-t-il, on a mesuré durant quatre ans l'attente des patients placés en surcapacité aux étages pour finalement découvrir qu'ils ont obtenu, en moyenne, une chambre en moins d'une heure!»

Tous les hôpitaux du Québec doivent faire parvenir leur plan de désengorgement au Ministère dans les prochaines semaines. C'est le genre de mesure qui pourrait être appliquée en cas de crise comme l'épidémie de grippe de l'hiver dernier, qui a contribué à faire augmenter le temps d'attente de 17h12 min en 2011-2012 à 17h30 min cette année, bien que le nombre de patients sur civière soit resté sensiblement le même (1 083 761).

Quelques succès

Si la situation de la plupart des établissements du Québec stagne, une poignée d'hôpitaux sont parvenus à améliorer leur temps d'attente de façon significative. C'est le cas en Outaouais, région qui, comme Montréal, était considérée comme une «priorité» par l'ancien ministre de la Santé Yves Bolduc.

L'hôpital de Hull a fait passer son temps d'attente de plus de 25h42 min à 18h12 min pour un gain de sept heures et demie, la meilleure amélioration de la province. Sa cote de E+ est devenue D+. Le pourcentage de longs séjours aux urgences (ceux qui dépassent 48 heures) a aussi chuté de 16,5% à 7,5%. Un gain colossal.

Au second rang figure le Centre hospitalier de Lanaudière, à Joliette. Également suivi de près par le Ministère, il a réduit la durée moyenne des séjours sur civière de 24h48 min à 20h48 min, une réduction de 4 heures. L'hôpital Jean-Talon, à Montréal, remporte le bronze, avec un gain de 3 heures.

Situations difficiles

La situation est toutefois catastrophique à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, où la durée moyenne des séjours sur civière est passée de 35 à 40 heures.

En entrevue avec La Presse, le Dr Éric Gagnon, chef médical des urgences, explique que la fermeture des 108 lits d'une unité de soins prolongés pour les patients en fin de soins actifs a fait très mal à l'hôpital. Il faut aussi préciser que l'agence de la santé de Montréal estime qu'il manque au moins 150 lits d'hospitalisation dans l'est de la métropole.

L'hôpital, qui a engagé un consultant pour scruter ses chiffres, aurait aussi découvert qu'il ne compile pas les données sur ses patients de la même manière que l'Hôpital général de Montréal, le meilleur de la métropole, qui obtient la note de C+.

«La moyenne des urgences de Montréal comptabilise 55% de la clientèle qui s'inscrit aux urgences, alors qu'ici, c'est 27%. La différence, c'est que les autres incluent dans leurs calculs les cas plus légers couchés sur civière qui vont obtenir leur congé le même jour, alors que nous ne tenons compte que des patients qui vont être hospitalisés, donc ceux qui sont très malades. On pense que ça allonge notre attente de 10 à 12 heures par rapport aux autres», explique le Dr Gagnon.

Trois hôpitaux obtiennent la note peu enviable de E+: l'hôpital Notre-Dame et l'hôpital Saint-Luc, qui accueillent la population itinérante et toxicomane du centre-ville de Montréal, ainsi que le Centre hospitalier d'Argenteuil, dans les Laurentides.