Près de 15 ans après le dépôt d'un recours collectif, les résidants du CHSLD Saint-Charles-Borromée qui ont subi de mauvais traitements viennent d'obtenir une indemnisation de 7 millions, la plus grande somme versée dans le cadre d'une telle poursuite contre un établissement de santé au Québec. L'entente hors cour prévoit aussi des mesures réparatrices pour prévenir d'autres situations de maltraitance dans le milieu de la santé, une mesure plutôt inhabituelle dans ce genre de procédure.

La requérante initiale du recours, Gisèle Allard, une femme tétraplégique qui souffrait d'une ataxie de Friedreich, est aujourd'hui morte. C'est avec beaucoup d'émotion que Johanne Ravenda, sa curatrice à la personne, a présenté hier les grandes lignes de l'entente, qui devra maintenant être approuvée par un juge. «Pour moi, c'est une journée de grande tristesse et de grande joie, a-t-elle déclaré dans les bureaux de son avocat Me Jean-Pierre Ménard. Je me dis qu'au ciel, si ciel il y a, il y a une grande fête aujourd'hui!», a-t-elle ajouté.

Dix ans de délais

Gisèle Allard a déposé son recours en 1997, mais au dire de Me Ménard, la partie adverse a multiplié les procédures judiciaires durant 10 ans pour éviter que la cause aille de l'avant.

Dans la requête initiale, des négligences sur le plan de l'alimentation, des soins de santé et de l'hygiène de Mme Allard étaient mises en cause. La dame était aussi surmédicamentée, ce qui lui a causé des effets secondaires, dont des hallucinations.

L'affaire a cependant véritablement pris son envol en 2003, à la suite de reportages de La Presse qui ont révélé qu'une femme handicapée de 51 ans avait été victime de propos violents et menaçants de la part d'employés. Deux préposés lui avaient fait croire qu'un maniaque sexuel se masturbait en la regardant par la fenêtre. Leurs propos avaient été enregistrés. Quelques jours plus tard, le directeur général du CHSLD, Léon Lafleur, s'est suicidé.

L'indemnisation de 7 millions couvre la période du 1er janvier 1995 au 3 mars 2006. Les résidants qui ont séjourné au CHSLD recevront une indemnité de 2500$ par année. La somme pourra être revue à la hausse ou à la baisse en fonction du nombre de réclamations. Les héritiers des victimes auront droit au tiers de la somme.

Dans le cadre de l'entente, 250 000$ seront alloués au Fonds Gisèle Allard consacré exclusivement à améliorer la qualité de vie des résidants du centre d'hébergement du Centre-Ville-de-Montréal (anciennement le CHSLD Saint-Charles-Borromée). Cette somme servira notamment aux résidants pour faire des sorties culturelles, avoir des loisirs ou pour obtenir des soins de santé qui ne sont pas couverts par le régime public.

Une somme de 250 000$ sera aussi allouée au Fonds Hélène Rumak, une autre victime. Les sommes seront utilisées pour organiser des formations pour informer les usagers des centres d'hébergement publics sur la défense de leurs droits.

Me Ménard et Mme Ravenda affirment qu'il s'agit d'une entente «historique» et estiment qu'il s'agit d'une grande victoire pour les «sans voix» du système de santé, les gens extrêmement vulnérables comme les patients lourdement handicapés qui vivent à la résidence Saint-Charles-Borromée, aujourd'hui appelé le centre d'hébergement du Centre-Ville-de-Montréal.

De son côté, la directrice de l'hébergement du Centre, Hélène Larochelle, s'est dite «heureuse» de l'entente et assure que tout est fait pour assurer des services de qualité aux résidants. «Je ne vous dis pas qu'il ne se passe jamais rien. [...] mais ce qu'il faut retenir, c'est qu'il y a des mesures qui ont été mises en place pour assurer une qualité de vie. Nous avons une équipe de travail avec des employés généreux et attentifs.»