Des donneurs d'organe dont la bonne action s'est transformée en véritable cauchemar sont laissés sur le carreau en raison d'un imbroglio dans l'interprétation d'une loi.

Malgré un précédent datant des années 90, le Bureau d'indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC), qui dédommage aussi les individus qui se sont blessés en accomplissant un «acte de civisme», a encore des doutes quant à savoir si un don d'organe se classe dans cette dernière catégorie. Il refuse donc de faire savoir publiquement qu'il pourrait aider les donneurs d'organe pour qui l'opération a mal tourné.

Et comme le délai pour déposer une demande n'est que d'un an, des victimes réalisent trop tard qu'elles pourraient être indemnisées.

Une vie hypothéquée

C'est le cas de Renée Montgrain, résidante de Weedon, en Estrie. Sa santé a été ruinée par des complications survenues lorsqu'elle a donné un rein à sa mère, en 2004. Cette dernière n'a survécu qu'une soixantaine de jours après l'intervention.

«Ma santé s'est mise à se dégrader, jusqu'au jour où j'ai fait une paralysie temporaire du côté droit», a-t-elle confié à La Presse en entrevue téléphonique. Elle a aussi été hospitalisée pour des crises d'asthme, a contracté une pneumonie, a souffert de hernies et a dû se procurer un quadriporteur pour se déplacer. Elle a été reconnue comme invalide par la Régie des rentes. «J'étais une femme en pleine forme», rappelle-t-elle au bout du fil.

Le juge administratif qui se penchera par la suite sur son dossier cite le rapport du médecin de Mme Mongrain. «Complications postopératoires secondaires à un don d'organe», a conclu le professionnel de la santé.

Ce n'est qu'en 2007, à l'occasion d'une tribune téléphonique sur le don d'organe, qu'elle a appris qu'au moins un donneur d'organe dont la santé a été ruinée par sa bonne action a réussi à recevoir une indemnisation de l'État. Mais comme le délai d'un an était écoulé depuis une vingtaine de mois, on a refusé de lui verser un seul sou.

Application ferme de la loi

Récemment encore, en décembre dernier, le Tribunal administratif du Québec (TAQ) a réitéré que ce délai ne pouvait être dépassé sous aucun prétexte.

C'était l'argument du Bureau d'indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC).

«Il faut démontrer une certaine impossibilité d'avoir agi, a expliqué à La Presse Dominique Blain, conseillère juridique pour l'organisme. Si la seule raison pour laquelle vous n'avez pas fait votre demande plus tôt, c'est que vous ne saviez pas que vous pouviez être indemnisé, ça ne passe pas généralement.»

Le bureau de l'IVAC ne publicise pas la possibilité d'indemniser ce type de victimes, parce que la loi n'est pas assez claire à ce sujet, selon Me Blain. Les individus traditionnellement touchés par la Loi sur les actes de civisme sont ceux «qui se jettent à l'eau, qui se jettent dans le feu» pour sauver une autre personne.

La loi cible toute personne blessée lorsqu'elle portait «secours de façon bénévole à quelqu'un dont la vie ou l'intégrité physique est en danger».

Le ministre de la Justice du Québec, Bertrand St-Arnaud, a refusé de se mêler du dossier. «Le ministre ne commente pas le cas particulier, a indiqué son attachée de presse. Il réitère sa sensibilité envers les victimes d'actes criminels ou personnes ayant fait preuve de civisme.»

Renée Montgrain promet de continuer à se battre. Elle se présentera devant la Cour supérieure prochainement.