L'Institut Philippe-Pinel est plus violent que jamais. Le nombre d'agressions contre des employés, d'accidents de travail, d'attaques et de blessures a bondi au cours des dernières années entre les murs de l'établissement de santé, qui accueille les criminels psychiatrisés les plus redoutables de la province, révèlent des chiffres obtenus par La Presse. Deux ans après une prise d'otages qui a entraîné l'arrêt de travail de 13 personnes, la sécurité est loin de s'être améliorée.

Entre 2009 et 2012, le nombre d'accidents de travail à Pinel a augmenté de près de 40% - il est passé de 173 il y a cinq ans à 272 l'an dernier. Agressions, interventions qui tournent mal, coups de poing et de pied, harcèlement, chutes: tout y est.

Seulement depuis le mois de janvier 2013, des notes internes font état d'au moins six incidents jugés «critiques» par la direction. Dans un cas, un patient qui était en transfert de la prison de Bordeaux a attaqué trois gardes lorsqu'il était dans le fourgon cellulaire. Quelques jours plus tôt, un employé a été mordu à un bras durant une intervention.

«On a déjà vécu des périodes où ça brassait pas mal, mais dernièrement, on voit vraiment que ça empire», constate Yanick Ducharme, sociothérapeute et membre du syndicat.

Il y a quelques semaines, lui et des collègues ont dû voler au secours d'un employé en crise de panique au bord de l'autoroute 40. L'agent de sécurité venait d'être blessé et éclaboussé par du sang contaminé pendant qu'il tentait de maîtriser un patient. Traumatisé, il est parti en catastrophe. Quelques minutes plus tard, il a garé sa voiture sur l'accotement, incapable d'avancer plus loin. «Il était sous le choc», raconte Yanick Ducharme.

Lui-même a été victime d'une agression, il y a quelques années. Un patient lui a envoyé un coup de poing en plein visage au moment où il entrait dans sa chambre. «Mes dents sont passées à travers la peau sous ma lèvre. Ça a fait une grosse ligne noire», dit-il. Il a terminé son quart de travail avec du papier de toilette dans la bouche pour éponger le sang.

Sa collègue Mélanie Gougeon s'est retrouvée en arrêt de travail pendant six mois après que sa partenaire a frôlé la mort parce qu'un patient l'avait étranglée. «Il la serrait de toutes ses forces et refusait de la lâcher. Ça nous a pris une éternité pour la sortir de là», raconte Mme Gougeon, elle aussi sociothérapeute. «Depuis, ça me suit partout. Même au restaurant, je longe les murs et je regarde derrière moi», dit-elle.

Selon Steve Marcotte, président du syndicat, cette violence omniprésente crée une pression difficile à supporter pour les quelque 900 employés. Bientôt deux ans après qu'un violeur récidiviste traité à l'Institut a séquestré et ligoté un médecin, un criminologue et une infirmière, qu'il menaçait de violer à la pointe d'un couteau artisanal, Pinel n'est pas plus sûr, contrairement à ce qui avait été promis.

Turcotte, Homolka, Fabrikant

Le syndicat accuse sans réserve les patrons de ne pas en faire assez pour accroître la sécurité dans l'établissement, qui a accueilli des criminels psychiatrisés comme Guy Turcotte, Karla Homolka ou Valery Fabrikant. «On n'a pas de soutien, affirme M. Marcotte. Les événements sont normalisés. Comme si, parce qu'on est à Pinel, on doit s'attendre à ça. Tout ce que les patrons nous demandent quand on se fait attaquer, c'est si on est capable de finir notre journée ou si on a fait notre rapport.»

Steve Marcotte cible aussi le roulement élevé de personnel. «Lorsque les gens sont inexpérimentés, ils sont plus nerveux, explique le président. Et ça, les patients le sentent.» Selon lui, quelque 70% des employés ont moins de cinq ans d'expérience. La direction de l'établissement parle plutôt de 50%.

Quel que soit le bon pourcentage, les responsables de l'Institut ne nient pas qu'il existe un problème entre leurs murs. «Nous en sommes encore à évaluer la situation pour comprendre [la hausse des accidents de travail] et identifier les facteurs de risque», indique la porte-parole Sylvie Audet.

Elle affirme que des mesures ont déjà été adoptées dans la foulée de la prise d'otages: plus de formation, de nouveaux équipements et des protocoles revus en cas d'urgence. Les résultats se font attendre. «Ce n'est pas simple comme évaluation. Il faut bien comprendre ce qui s'est passé et trouver des solutions pour améliorer la situation», dit Mme Audet. Elle n'exclut pas que de nouvelles mesures soient prises prochainement. Entre-temps, les employés s'impatientent.