Un ex-psychologue spécialiste de l'approche corporelle fait face à une poursuite en dommages de près d'un demi-million de dollars pour avoir eu des relations sexuelles avec sa cliente, une infirmière ayant déjà été victime de viol.

Ouriel Ouaknine s'exécutait en pleine séance, à son bureau, et exigeait d'être payé comme s'il s'agissait d'un traitement. Pire encore: à la même époque, en 2007 et en 2008, il a fait subir exactement la même chose à la mère de la jeune femme, qui était aussi sa cliente.

L'homme a été radié à vie en mai 2011, mais il a bien failli ne jamais l'être. En effet, même après avoir changé de thérapeute, l'infirmière a longtemps refusé de dénoncer son ancien psychologue. «Elle manifestait un mécanisme de défense d'identification à l'agresseur [syndrome de Stockholm]», indique la requête déposée en Cour supérieure en novembre dernier.

Pourtant, Ouaknine est un récidiviste. Onze ans plus tôt, il avait été radié pour un mois - une cliente avait dénoncé les attouchements qu'il lui faisait subir à répétition.

Aujourd'hui, l'ancien Outremontais s'annonce comme coach de vie à Léry, près de Châteauguay. Lorsque nous l'avons appelé incognito, il a toutefois refusé de nous donner rendez-vous en disant qu'il ne travaillait pas «pour l'instant». En entrevue, il a ajouté avoir beaucoup de mal à porter le tort qu'il a causé.

Sa victime semble en effet démolie. Sa poursuite fait état de séquelles innombrables: idées suicidaires, dissociations graves, pertes de mémoire, troubles de concentration, insomnie, cauchemars. Elle se sent si sale qu'elle se désinfecte deux fois par jour avec un antiseptique ordinairement utilisé dans le dentifrice, ce qui lui cause des infections et fait enfler sa peau.

Les études confirment que l'inconduite sexuelle est un événement dévastateur. «Il existe un therapist-patient abuse syndrome. Plusieurs ont des symptômes de choc post-traumatique», indique le psychologue et sexologue Marc Ravart, souvent appelé comme témoin expert devant les conseils de discipline. Selon une étude américaine, 83% des victimes ne se remettent jamais totalement d'une telle expérience. Encore pis, 11% doivent être hospitalisées; 1% se suicident et 14% tentent de le faire. Au Québec, les décisions des conseils de discipline de plusieurs ordres professionnels témoignent de ces ravages.

Dans les Laurentides, le psychologue Pierre-Arthur Bélanger a même avisé sa cliente des risques de suicide accrus lorsqu'il lui a fait des avances, en 2004. Cela ne l'a pas empêché de jouer les Casanova, puis de rompre avec elle à deux reprises, lui reprochant d'abord d'avoir des implants mammaires, puis d'être trop gourmande sur le plan matériel. Comme c'est très souvent le cas, il s'en est pris à une femme fragile, qui avait déjà été victime d'agressions sexuelles dans le passé. Elle a fini par retourner en psychiatrie.

«C'est trop banalisé. Ça prend un événement extrême pour que les gens réagissent», déplore la présidente de l'Ordre des psychologues, Rose-Marie Charest. Les victimes ont pourtant intérêt à porter plainte, dit-elle, «parce que le fait de sentir que quelqu'un reconnaît leurs droits et l'abus qu'elles ont subi se révèle très thérapeutique».

En 2008, l'association Plaidoyer-Victime a ainsi publié un guide exposant leurs droits et recours (disciplinaires, criminels et civils). La présidente de l'organisme, Arlène Gaudreault, croit que les ordres professionnels devraient pour leur part créer des fonds d'aide. «On n'a pas assez conscience des ravages que cela entraîne, affirme la criminologue. Il faut les faire connaître, comme on l'a fait pour la violence conjugale.»