Certains enseignent toujours à l'université, d'autres se recyclent en coach de vie ou disparaissent dans la brume après avoir agressé des élèves de leur école... D'après notre enquête, les psychologues ayant eu des relations sexuelles avec leurs clientes s'en tirent souvent bien mieux que ces dernières, qui restent perturbées à jamais. Voici le dernier volet de notre reportage sur l'inconduite sexuelle.

Bien qu'ils aient été reconnus coupables d'inconduite sexuelle - et qu'on leur ait reproché leur perversité et leur absence de remords -, deux chargés de cours enseignent toujours à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), où ils servent de modèles aux futurs psychologues et psychoéducateurs.

C'est l'un des constats d'une enquête menée par La Presse au sujet des 32 psychologues radiés depuis 2000 pour le même genre de dérapage.

D'après les décisions rendues par le Conseil de discipline, 6 de ces 32 fautifs se sont lancés dans des relations stables avec leurs clients. Quatorze d'entre eux voulaient des faveurs sexuelles. Les 12 derniers ont collectionné les victimes ou agi de façon particulièrement insensible.

Les deux chargés de cours de l'UQTR font partie de ces 12 cas lourds. Mais, comme pour d'autres, cela ne se reflète pas forcément sur la suite de leur carrière.

Paul Bellemare enseigne toujours à la faculté de psychologie. Il a pourtant fait des gestes si graves qu'il a été radié pour deux ans et a perdu à jamais le droit de recevoir des femmes en thérapie. «Le risque de récidive est omniprésent» et cela nécessite «des mesures très sévères», a expliqué en décembre 2010 le Conseil de discipline de l'Ordre des psychologues.

Le chargé de cours s'en est pris à une étudiante. Elle avait des idées suicidaires, venait de se séparer d'un conjoint violent et de perdre son père. Bellemare l'a convaincue qu'il pouvait se charger de sa thérapie. Il a ensuite profité de leurs séances pour lui faire des massages intimes, durant lesquels il lui a demandé de baisser sa culotte.

Le même scénario - en pire - s'est produit avec une autre cliente. Cette dernière avait fait une tentative de suicide. Elle consultait pour des problèmes d'inceste et de violence conjugale. Bellemare lui a encore une fois fait des massages intimes. Après sa thérapie, cette femme a vécu avec lui. Elle est tombée enceinte et il a exigé qu'elle se fasse avorter. Moins d'un an et demi plus tard, il l'a mise à la porte.

En juin 2010, le Conseil a conclu que Bellemare avait soigneusement «tissé sa toile» et que, étant donné son absence de remords, il était plus inquiétant que jamais.

De retour en classe

Autre cas troublant: Guy Boulanger, chargé de cours à la Faculté de psychoéducation de la même université. Le psychologue de Le Moyne a fumé de la marijuana avec une jeune femme qui le consultait justement pour se libérer de sa dépendance à cette drogue. Elle tentait également de régler ses problèmes avec les hommes. Or, le psychologue l'a traitée exactement de la même manière: en objet, estime le témoin expert du syndic. Boulanger a par exemple voulu acheter un vibrateur à sa cliente et l'entraîner dans des trios sexuels.

Il a trahi une femme fragile en l'exploitant pour assouvir ses propres pulsions, conclut le Conseil de discipline, qui a radié Boulanger pour six mois en juillet 2005. Il lui reproche «ses gestes de perversité», son manque de professionnalisme et de compassion.

Au téléphone, Guy Boulanger reconnaît sa faute. «Mais le fait de vivre le processus disciplinaire fait réfléchir. Ç'a été efficace pour moi», assure-t-il.

L'UQTR affirme qu'elle n'était pas au courant et analysera la situation. Elle estime que c'est chose faite en ce qui concerne son autre chargé de cours problématique, Paul Bellemare, qui a refusé de nous parler. Celui-ci n'a pas enseigné durant sa radiation. En janvier, il a toutefois repris sa charge de cours - et donc sa position d'autorité -, même s'il n'a toujours pas le droit de recevoir des femmes en thérapie.

«Même si on peut personnellement partager votre point de vue [comme quoi un psychologue radié est un mauvais modèle pour les étudiants], un chargé de cours a des droits. Si nos mesures sont exagérées, ses représentants vont s'assurer de faire en sorte qu'il soit réintégré, explique Sylvain Gagnon, directeur du service des relations de travail. On doit juger en fonction de ce qui se passe dans les salles de cours.»

Un crime?

Dans la région de la Côte-Nord, à Baie-Comeau, le psychologue scolaire Richard Bois s'en est aussi tiré à relativement bon compte. Il a manipulé deux jeunes adolescentes avec des billets doux et des invitations. La première a eu des relations sexuelles complètes avec lui à l'âge de 14 ans, alors qu'elle était encore vierge. La deuxième a subi des attouchements.

Bois présente les caractéristiques des prédateurs sexuels non violents et risque de récidiver avec d'autres adolescentes, a conclu le Conseil de discipline en 2008.

Le quinquagénaire a été radié à vie, mais quatre ans plus tard, il n'a toujours pas été accusé au criminel. Même si le fait d'avoir des relations sexuelles avec des mineurs est un crime pour une personne en situation d'autorité. Et même si sa principale victime fait des dépressions à répétition et n'est plus certaine de son orientation sexuelle.

En fait, aucun des psychologues radiés pour inconduite sexuelle n'a été traîné en cour criminelle. On ne peut contraindre les victimes à témoigner en cour, puisque l'Ordre leur garantit la confidentialité, explique la présidente de l'Ordre des psychologues, Rose-Marie Charest.

En 2001, le psychiatre Pierre Lapointe a néanmoins été condamné à neuf mois de prison avec sursis. Ses nombreuses relations sexuelles avec une patiente ont été qualifiées de viols. Celle-ci ne pouvait en effet y consentir de façon éclairée, puisque la «disparité écrasante de leurs rapports de force» la rendait facilement manipulable.

Convaincues - à tort - que le fait d'avoir accepté une liaison efface la faute de leur thérapeute, les victimes dénoncent peu. La division des agressions sexuelles du Service de police de la Ville de Montréal reçoit seulement une vingtaine de plaintes du genre par année contre l'ensemble des professionnels de la santé. Et un nombre infime de dossiers se rendent en cour. «C'est souvent très difficile de prouver ce qui s'est passé, encore plus que pour les autres types d'agressions sexuelles, explique la lieutenante-détective Ginette Bolduc. On n'amène pas les victimes se faire démolir, cela serait néfaste pour elles.»

Son conseil: porter plainte quand même. En effet, lorsque les dénonciations s'accumulent contre le même thérapeute, les poursuites criminelles sont facilitées. Et les sanctions disciplinaires, nettement plus lourdes.

Cela éviterait des décisions perturbantes. Le Tribunal des professions a, par exemple, coupé en quatre la sanction imposée au psychologue Jacques Sirois, qui installait sa cliente sur ses genoux pour qu'elle parle à son pénis et éjaculait sur elle. Il a ensuite vécu avec elle. Même si le Conseil avait jugé le résidant de Beauport peu convaincant, le Tribunal a décrété que ce «n'était pas un être vil cherchant à assouvir ses seuls besoins» et que le radier un an nuirait trop à sa carrière. En 2005, 10 ans plus tard, on a découvert que le même homme avait fait non pas une seule, mais trois victimes...

D'après une étude de l'Américain Kenneth S. Pope, seulement 12% des victimes d'inconduite sexuelle dénoncent leur thérapeute.