Le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) ne s'en cache pas: son aile psychiatrique n'est pas assez sécuritaire. Incapable de mettre le doigt sur les circonstances exactes entourant le meurtre de deux patients de l'hôpital Notre-Dame, en juin dernier, l'établissement investira près de 1 million d'ici quelques mois pour améliorer l'encadrement des patients, a appris La Presse. «On a réalisé qu'on n'était pas ajusté au niveau de risque de plus en plus élevé de notre clientèle», confie le directeur du département visé, au terme d'une longue enquête.

Le 22 juin 2012, les policiers ont été appelés à l'aile psychiatrique de l'hôpital Notre-Dame, où une patiente de 71 ans affirmait qu'on avait tenté de la tuer. Les enquêteurs ont rapidement découvert que deux autres patients retrouvés morts quelques jours plus tôt dans le même service avaient été assassinés. Les employés ont d'abord cru à des morts naturelles à cause de leur âge avancé, mais les victimes avaient en fait été étranglées sans que personne ne s'en aperçoive. Idelson Guerrier, 31 ans, qui était hospitalisé depuis une semaine, a été arrêté et accusé de tentative de meurtre. Jusqu'à maintenant, aucune accusation de meurtre n'a toutefois été déposée contre lui.

«Personne n'a rien vu», affirme le Dr Paul Lespérance, directeur du département. Et si M. Guerrier reste le principal suspect dans cette affaire, une enquête interne menée durant plusieurs mois par un comité spécial n'a pas permis de faire toute la lumière sur les circonstances entourant les crimes.

«On n'a pas découvert de défaillance systémique, explique le Dr Lespérance. On a analysé tout le processus par lequel il [Idelson Guerrier] est passé à partir de son admission à l'urgence psychiatrique. On était dans les normes à chaque étape, ce qui veut dire qu'on doit resserrer les normes partout.»

C'est que le grave problème serait bien plus profond qu'une simple faute d'exécution. «Depuis quelques années, on reçoit de plus en plus de patients judiciarisés, qui seraient autrefois allés en prison, mais qui n'y vont pas pour cause d'aliénation mentale. Ils ont été transférés du milieu carcéral au milieu médical sans que les budgets ne les suivent», constate le chef du département. Sans oublier, dit-il, un nombre accru de patients intoxiqués et un débordement chronique.

«La transition s'est faite de façon insidieuse. [Les meurtres] ont été pour nous un coup de tonnerre qui nous a démontré qu'on n'était pas ajusté à cette clientèle plus lourde. On doit s'adapter.»

Le comité chargé de l'enquête vient à cet effet de déposer une série de recommandations pour «réduire le risque de récurrence» d'événements comme ceux de l'été dernier. «Notre analyse [...] a permis de mettre en lumière certains éléments [...] de la qualité des soins et services offerts à la clientèle présentant des caractéristiques de dangerosité», écrit la présidente du comité dans un document déposé au conseil d'administration.

Au banc des accusés: la surveillance aux étages d'hospitalisation, la communication entre les employés, l'évaluation et l'accueil des patients à leur arrivée aux urgences et la formation des employés. La direction de l'hôpital affirme qu'elle a des solutions pour pallier tous les problèmes. C'est une véritable réorganisation des soins qui se prépare, ce qui coûtera entre 800 000$ et 1 million.

Depuis quelques mois, un agent de sécurité patrouille dans les couloirs nuit et jour. D'ici le mois d'avril, des caméras seront installées dans les couloirs et les aires communes du département. Une douzaine de nouveaux employés, dont un criminologue, se joindront aussi à l'équipe actuelle afin d'augmenter les ratios patients/soignants. Des modifications à l'organisation et à l'architecture des urgences sont aussi prévues. «Nos deux salles d'isolement sont souvent utilisées pour d'autres raisons parce que l'urgence déborde, explique le Dr Lespérance. On va réduire le nombre de civières afin qu'elles soient toujours libres.» Les patients âgés, plus vulnérables, seront dorénavant séparés des plus jeunes dans les unités d'hospitalisation. Finalement, la direction s'assurera que tous les employés, même les remplaçants, détiennent la formation nécessaire aux situations d'urgence. L'enquête a révélé que le quart d'entre eux n'étaient pas à jour.

«Le risque zéro n'existe pas et on ne le vise pas. On n'a pas le mandat de Pinel. On n'est pas un endroit à sécurité maximale, mais je suis convaincu qu'on va diminuer les risques», assure le Dr Lespérance.